Les biopesticides sont des substances chimiques et des agents antiparasitaires issus de sources naturelles comme des bactéries, des champignons, des virus, des plantes, des animaux et des minéraux. Ils peuvent offrir une solution de rechange aux produits chimiques de synthèse utilisés pour lutter contre les populations de ravageurs dans les champs cultivés et d’autres environnements de production.
[dropcap color=”#” bgcolor=”#” sradius=”0″]M[/dropcap]ême s’il n’existe aucune définition officielle des biopesticides, dans le domaine de l’agriculture, ils pourraient être caractérisés de la manière suivante : Organismes vivants ou produits issus de ces organismes ayant la particularité de limiter ou de supprimer les ennemis des cultures. Les produits considérés comme des biopesticides par les agences de règlementation européennes et mondiales sont d’origines diverses et peuvent être classés en trois grandes catégories, selon leur nature :
– les biopesticides microbiens : ils comprennent les bactéries, champignons, oomycètes, virus et protozoaires. L’efficacité d’un nombre important d’entre eux repose sur des substances actives dérivées des micro-organismes. Ce sont, en principe, ces substances actives qui agissent contre le bio-agresseur plutôt que le micro-organisme lui-même.
– les biopesticides végétaux : les plantes produisent des substances actives ayant des propriétés insecticides, aseptiques ou encore régulatrices de la croissance des plantes et des insectes. Le plus souvent, ces substances actives sont des métabolites secondaires qui, à l’origine, protègent les végétaux des herbivores.
– les biopesticides animaux : ce sont des animaux comme les prédateurs ou les parasites, ou des molécules dérivées d’animaux, souvent d’invertébrés comme les venins d’araignées, de scorpions, des hormones d’insectes, des phéromones… Les biopesticides d’origine animale qui sont des signaux chimiques produits par un organisme et qui changent le comportement d’individus de la même espèce ou d’espèces différentes, sont répertoriés sous l’appellation « semio-chimiques ». Les semio-chimiques ne sont pas à proprement parler des pesticides car ils ne vont pas provoquer la mort des bio-agresseurs, mais plutôt créer une confusion chez ces derniers. Cette confusion les empêchera de se propager dans la zone traitée. Les phéromones d’insectes sont de bons exemples de molécules semio-chimiques.
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Les avantages des biopesticides
Les biopesticides offrent de nombreux avantages. Leur nature permet leur utilisation aussi bien en agriculture biologique qu’en agriculture conventionnelle. Il est cependant à noter que, dans certains pays, la règlementation en vigueur ne permet pas l’utilisation en agriculture biologique de tous les biopesticides commercialisés sur leur territoire. Si la substance active de ces produits ne pose pas de problème règlementaire, leurs co-formulants peuvent ne pas être compatibles avec ce type d’agriculture. Ainsi, il est recommandé aux agriculteurs biologiques de consulter les listes de produits commerciaux à base de biopesticides autorisés par leur organisme certificateur avant toute utilisation.
Certains biopesticides microbiens présentent des bénéfices supplémentaires à leur rôle de protection. Les champignons du genre Trichoderma ont la particularité de faciliter l’absorption d’éléments nutritifs du sol par les plantes. De même, il a été récemment mis en évidence que certains micro-organismes endophytes et/ou certaines rhizobactéries favorisant la croissance des plantes (Plant Growth Promoting Rhizobacteria ou PGPR) peuvent conférer à certaines cultures une tolérance aux stress abiotiques comme la sècheresse. La plupart des bactéries commercialisées en tant que biopesticides font partie du groupe des PGPR, comme Bacillus subtilis et sont connues pour leur capacité à favoriser la croissance des plantes.
Dans certains produits commercialisés, les molécules bioactives emploient plusieurs modes d’action, ce qui les rend particulièrement intéressantes pour limiter l’apparition de bio-agresseurs résistants. Ainsi, les lipopeptides cycliques produits par les bactéries du genre Bacillus peuvent, à la fois, faciliter la colonisation de l’environnement par le micro-organisme producteur, avoir une activité antifongique directe et induire les mécanismes de défense des plantes.
Ces dernières années, dans la quête de nouveaux bio-insecticides, une attention particulière est portée aux venins d’araignées. En effet, ceux-ci sont composés de centaines de toxines et substances actives qui vont affecter le système nerveux des insectes afin de les paralyser pour ensuite provoquer leur mort. Ils ne sont pas seulement actifs après une morsure, mais le sont également après ingestion, ce qui les rend particulièrement intéressants. Les différentes substances de ces venins ont plusieurs cibles. Les multiples cibles des venins vont limiter l’apparition d’insectes résistants. À l’opposé, on retrouve certains insecticides conventionnels qui sont formulés pour agir avec l’une des cibles principales. L’utilisation d’une seule cible par les insecticides conventionnels va augmenter le risque d’apparition des résistances chez les insectes.
Des biopesticides, comme les pyrèthres, insecticides extraits de la plante Tanacetum (Chrysanthemum) cinerariaefolium ont une action rapide, une faible toxicité contre les mammifères ainsi qu’une faible persistance après leur application.
Dans le domaine phytosanitaire, les molécules issues des organismes vivants sont donc en général moins rémanentes dans le sol que leurs homologues chimiques.
Les inconvénients des biopesticides
Certains des avantages écologiques des biopesticides, comme leur faible rémanence ou le fait qu’un produit soit actif contre un faible spectre de nuisibles, peuvent être considérés comme des inconvénients. En effet, ces deux avantages écologiques combinés à leur activité souvent dépendante des conditions climatiques et environnementales rendent certains biopesticides moins efficaces que leurs homologues chimiques. Certains professionnels de l’agriculture estiment que les biopesticides ne leur conviennent pas car ils ne sont pas assez efficaces, car ils évaluent leurs résultats à court terme, comme s’il s’agissait d’un substitut aux produits phytosanitaires chimiques. Or, la mise en place et l’efficacité d’un contrôle biologique doivent être évaluées sur la durée.
Stimulateurs des Défenses Naturelles des plantes (SDN) et biopesticides
Ce sont des substances qui, une fois appliquées sur la plante, vont déclencher les défenses de cette dernière. Cela va lui permettre d’être dans un état de résistance contre un pathogène auquel elle serait normalement sensible. Cette définition rappelle celle des éliciteurs, cependant les SDN ne peuvent pas être limités qu’aux éliciteurs. Les SDN, dont le concept d’utilisation dans la protection des plantes a été introduit en 1975, peuvent être de plusieurs origines. On trouve les synthétiques comme l’acide β-amino butyrique (BABA) ou comme l’analogue fonctionnel de l’acide salicylique. Il y a les substances naturelles minérales comme les poudres de roche, les substances naturelles végétales, les substances microbiennes et animales.
Dans ces trois derniers cas, les SDN correspondent à la définition donnée des biopesticides. Le sigle SDN peut prêter à confusion puisqu’il pourrait faire croire que ces substances sont toutes d’origine naturelle. C’est pour cela que le sigle SDP pour l’appellation Stimulateur de Défense des Plantes est souvent utilisé. Les SDN ont des modes d’action variés qui dépendent de la dose appliquée, de la plante traitée et de l’agresseur visé.
Il y a un paradoxe sur le marché des SDN. Alors que peu de formulations ont une autorisation de mise sur le marché pour la fonction de stimulateurs de défenses des plantes, beaucoup de formulations commercialisées comme fertilisants ont des activités SDN supposées ou suggérées. Ainsi, sur les fiches de produits, les termes phytostimulants, stimulateurs de résistance, fortifiants des plantes, biostimulants, bioactivateurs, activateurs de défense, phytoactivateurs, nutrition santé des plantes ou encore renforts de résistance laissent penser à une activité SDN.
Les biopesticides et la stratégie de lutte intégrée
La lutte intégrée est une stratégie de gestion à long terme des bio-agresseurs qui minimise les risques pour les populations, l’écosystème et l’environnement. Dans ce concept, des actions sont menées pour empêcher les bio-agresseurs de devenir un problème. Pour cela, les champs sont minutieusement observés afin d’identifier les maladies et leur cause, dénombrer les bio-agresseurs et établir leur cycle de vie. Les facteurs environnementaux qui leur sont défavorables sont également étudiés. En fonction du seuil de rentabilité fixé par les agriculteurs, les bio-agresseurs répertoriés peuvent être soit tolérés, soit traités. Dans le cas où le contrôle est nécessaire, les données recueillies lors de la surveillance des champs sont exploitées pour l’application des traitements.
La lutte intégrée combine plusieurs pratiques comme l’utilisation de variétés de plantes résistantes aux maladies et aux ravageurs identifiés, une irrigation des cultures appropriée, la rotation ou l’inter-culture, le désherbage ou encore l’utilisation de barrières physiques de prévention contre les ravageurs. Les pesticides chimiques ne sont employés que lorsqu’ils sont nécessaires. Ils sont choisis dans le but de limiter au maximum leur impact sur l’environnement.
La lutte intégrée privilégie l’application de biopesticides. En effet, les nombreux avantages des biopesticides, comme leur toxicité réduite vis-à-vis des pollinisateurs, ne peuvent pas être ignorés dans un contexte socio-politique de plus en plus soucieux de l’écologie. C’est ainsi que l’agri-industrie s’intéresse d’une part aux stratégies de lutte intégrée en proposant par exemple des articles pour la surveillance des bio-agresseurs et, d’autre part, aux biopesticides en rachetant des petites et moyennes entreprises les développant.
L’emploi de certains biopesticides en rotation ou en combinaison avec d’autres biopesticides ou avec des produits chimiques permet de diminuer les quantités d’intrants chimiques, ainsi que l’apparition de nouvelles souches résistantes aux nuisibles. Les résultats obtenus avec la mise en place des stratégies de lutte intégrée dans les cultures de poires en Californie (USA) montrent l’efficacité d’une telle approche. Dans les années 1960, plus de 14 produits phytosanitaires chimiques étaient appliqués à chaque saison pour traiter les poiriers contre les acariens et les insectes. Pour diminuer cette dépendance croissante aux pesticides chimiques, des agriculteurs, des chercheurs, des agences gouvernementales et des consultants privés ont travaillé de concert. En 2008, la plupart des producteurs de poires de cette région n’appliquent plus que 3 à 5 substances actives par saison. Ces substances sont, pour la majeure partie, des biopesticides utilisables en agriculture biologique.
Le marché des biopesticides
L’utilisation des biopesticides a longtemps été cantonnée à l’agriculture biologique. Ces produits ont été progressivement employés en agriculture conventionnelle car les agriculteurs sont de plus en plus soucieux de leur impact écologique. Le marché des biopesticides est très en dessous de celui des produits phytosanitaires chimiques. Cependant, il est en constante croissance.
Il y a beaucoup plus de biopesticides disponibles sur le continent américain qu’en Europe. Des études suggèrent que cet écart serait dû au prix élevé et au délai souvent long du système européen d’autorisation des principes actifs et de la complexité des procédures d’homologation. Les processus d’homologation des biopesticides sont facilités aux USA et les autorisations sont en moyenne délivrées au bout d’un an de procédure. Les processus d’homologation dans certains pays européens sont beaucoup plus longs car ils suivent les modèles règlementaires des pesticides chimiques. Dans cette vision de l’homologation, un produit d’origine biologique n’est pas nécessairement sans risque.
Conclusion
L’utilisation généralisée et la dépendance aux produits phytosanitaires chimiques a conduit à l’apparition de bio-agresseurs résistants. La mauvaise réponse pour lutter contre ceux-ci est d’augmenter la quantité et la fréquence d’application du produit phytosanitaire le moins efficace. Cette réponse est généralement contraire à la législation qui encadre l’emploi des produits phytosanitaires et aux « Bonnes Pratiques Agricoles » définies par la règlementation, imposant un nombre maximal d’applications et une dose maximale à ne pas dépasser.
L’alternative est de développer de nouvelles molécules chimiques. Ce système à double réponse, identifié dans les années 1970 et nommé « pesticide treadmill » par les entomologistes, est toujours d’actualité. Malgré tous les effets indésirables sur l’environnement et la santé, il est prévu que ce cycle ne prendra fin que lorsqu’il ne sera plus possible de développer de nouveaux pesticides chimiques. Les biopesticides représentent une des alternatives à cette dépendance. Même si, employés seuls, ils sont généralement moins efficaces à court terme que leurs homologues chimiques, ils présentent de nombreux avantages écologiques qui ne peuvent pas être ignorés. Utilisés dans une stratégie de lutte intégrée en combinaison avec les pesticides chimiques, ils permettent de limiter la quantité d’intrants ainsi que l’apparition de nuisibles résistants.
Le développement de l’utilisation des biopesticides est variable d’une région du monde à l’autre. Ils dépendent fortement de plusieurs facteurs dont :
– les agriculteurs : leur méfiance vis-à-vis de l’efficacité de ce type de produits, leur niveau de formation ainsi que les moyens dont ils disposent en main-d’œuvre et appareillage ;
– l’environnement : l’efficacité des biopesticides est souvent conditionnée par les contraintes climatiques ;
– la recherche et le développement de nouveaux biopesticides encore plus efficaces que ceux déjà disponibles ;
– la mise en place d’un processus d’homologation et d’une législation dédiés à ce type de produit ;
– la logistique pour le stockage et la distribution des organismes vivants qui les composent ;
– les préférences des consommateurs (agriculteurs, distributeurs et consommateurs finaux) ;
A noter enfin que les microorganismes peuvent être utilisés pour dépolluer les sols, en stabilisant les polluants et en créant des molécules à haute valeur ajoutée. Ces molécules peuvent être utilisées en chimie verte, tout en remédiant de manière biologique des sols ou eaux contaminées.