EDDABBEH Fatima-Ezzahra1, EDDABBEH Layachi2, BAKHOUCH Mohammed3
Le caroubier (Ceratonia Siliqua) est une légumineuse de la famille des fabacées, agrosylvopastorale, mellifère et pollinifère, résistante à la hausse des températures et au déficit hydrique et participe à l’équilibre économique et sociale de la population rurale. Il se trouve sur le pourtour de la méditerranée, et le Maroc en est le deuxième producteur de gousses et le premier exportateur de graines à l’échelon mondial. Bien qu’à ce jour aucune variété n’ait été mise à la disposition des pépiniéristes (quatre variétés créées par l’INRA en 2021 sont en cours de brevetage), les clones marocains sont considérés comme étant les meilleurs et donnent les meilleurs rendements et la meilleure gomme à l’échelle mondial. Il constitue ainsi l’espèce autochtone principale qui permettra l’adaptation de la population aux changements climatiques (CC) et l’atténuation de leurs conséquences, notamment l’exode rural vers les villes.
Cependant, les gousses de caroube dont le prix a été en 1960 de moins de 1.000 dh / Tonne, avant d’atteindre 3.000 dh/T en 1980, puis 12.000 dh/T en 2.000 et 25.000dh/T en 2020, a connu une hausse spectaculaire en 2021 pour atteindre 80.000dh/T. Cette hausse a été la conséquence de la haute qualité de la graine (provenant d’arbres naturels généralement sans pesticides, donnant une gomme de bonne qualité alimentaire et pharmaceutique…) et de la découverte de la contamination de glaces en juin 2021 en France par l’oxyde d’éthylène, et dont les résultats de l’enquête ont écarté le produit marocain.
Cette importante hausse de prix a eu des conséquences positives et d’autres négatives sur la filière. Parmi les conséquences positives on peut citer :
- L’amélioration des revenus des ceratoniculteurs propriétaires d’arbres naturels centenaires avec de grands houppiers et dont la production moyenne est de l’ordre de 700 kg/arbre (les arbres dépassant la tonne/an sont fréquents).
- Une grande importance commence à être accordée par les agriculteurs au suivi technique de l’espèce qui ne nécessite ni arrosage, ni fertilisation, ni produits phytosanitaires. Une grande importance a ainsi été donnée au greffage des mâles (dont le nombre naturel se situe entre 54 et 65%), à la confection de cuvettes et à l’apport de fumier, pour augmenter la production.
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Quant aux conséquences négatives, elles se déclinent sous deux niveaux :
Au niveau national on assiste à :
- Un greffage anarchique des arbres mâle qui aura pour conséquence la disparition totale des clones mâles, dont les impacts sur la diversité génétique pour les générations futures sont inconnus,
- La réalisation de plantations à forte densité ne répondant pas aux exigences de l’espèce en lumière et température. En effet, la plantation en monoculture avec une densité en irrigué de 7mx7m ou de 8mx6m copiée des techniques pratiquées par les espagnoles parait très forte par rapport aux conditions climatiques futures de notre pays.
- La cueillette avant maturation des gousses pendant cette saison sur l’ensemble des caroubiers du domaine forestier et en partie sur les arbres susceptibles d’être volés pendant la nuit appartenant aux agriculteurs. Ces actes de nature à dénaturaliser les constituants chimiques et biochimiques de la graine et de la pulpe, et d’exposer celles-ci à l’attaque des microorganismes (galactomannanes pour la graine et glucides divers pour la pulpe) contribuent à la pollution des produits et à l’augmentation des écarts au cours des procédés finaux de la transformation.
- L’augmentation de la demande pour les plants greffés de caroubiers par des arboriculteurs qui désirent remplacer leurs cultures exigeantes en eau. Ce qui a eu pour conséquences l’augmentation de l’arnaque sur le greffage au niveau des pépinières et la plantation de l’espèce dans des zones qui ne répondent pas à ses exigences bioclimatiques.
Au niveau international les conséquences de la hausse des prix sont plus complexes et méritent l’attention des pouvoirs de décision :
- Au cours de la saison 2021/22, nous avons assisté à deux chocs successifs sur la caroube (en juin la contamination par l’oxyde d’éthylène et, en aout, la hausse des cours à l’export de la graine de 100 %, passant de 16.000 à 32.000 Euros/T). Devant une telle situation, les distributeurs et les utilisateurs de la gomme de caroube se trouvent devant trois choix pour maintenir une clientèle durable et pérenne : la réduction des poids des produits à l’emballage pour diminuer le prix de revient, la reformulation par des ingrédients de substitution similaire plus économiques ou le puisement sur leurs réserves stratégiques.
- Profitant des opportunités du marché, de la réduction de la taxe de douane et de la baisse de la production marocaine pendant cette saison (25.000 à 30.000 T de gousses contre 70.000 T l’année dernière), quelques commerçants, étrangers à la profession, se sont précipités sur l’importation de gousses de divers pays méditerranéens, dont les rendements en graines sont inférieurs à ceux du Maroc et dont la qualité de la gomme extraite de la graine est en deçà de celle de notre pays. Pratique qui a eu des impacts négatifs sur la renommée de notre produit qui se trouve pollué par des graines de qualité médiocre, sachant que les contrats passés avec nos concasseurs stipulent, entre autres clauses, l’origine de la marocanité des graines.
Ainsi, à ce jour aucune commande n’a été faite par les multinationales (gommiers) auprès des concasseurs marocains. En effet, l’importation de gousses des pays méditerranéens voisins en quantités importantes cette année, payée en devise et avec une taxation symbolique en guise de droit de douane, a rendu sceptiques les gommiers (espagnoles et italiens…), à accepter des offres à partir du Maroc par crainte de se trouver avec des mélanges n’ayant pas les caractéristiques habituelles. De ce fait, l’agriculteur marocain trouvera des difficultés à écouler sa production à sa juste valeur comme auparavant, ce qui pourra impacter négativement les recettes en devises de notre pays (la vente de notre graine, le cas échéant, récoltée prématurément et polluée par d’autres graines méditerranéennes sera au prix des graines espagnoles (15.000,00 Euros /Tonne). Il est donc nécessaire de protéger la production nationale et sa renommée à l’international.
L’application d’un prix moyen de 25.000,00 Euro/tonne (32.000 dh/T en 2021) de graine pour la saison précédente permet de donner une valeur annuelle en devise de 14.000 T (production de 2021) x 25.000 = 350.000.000 Euros.
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Recommandations
Quelques recommandations pour mener à bien l’évolution de la filière tout en préservant la renommée de notre produit à l’international :
- Revoir la technique de plantation de caroubier par sa plantation suivant la technique agroécologique en imitant la nature et ce en mélange avec d’autres espèces résistantes à la sècheresse à l’instar du pistachier greffé sur Pistacia Atlantica, arganier, vigne de Doukkala et PAM (câprier, armoise, thym….), et aussi comme brise-vent, sur les tranchées pare-feu dans les zones qui ont connu des incendies de forêts, comme « coupe mauvaises odeurs » sur le pourtour des décharges, des stations d’épuration et des étables d’élevages avicoles. De même, il peut être utilisé comme plantation d’ornement dans les villes pour constituer des corridors et des lieus de nidification et d’habitation pour la faune sauvage, et mettre à la disposition des polinisateurs un nectar et un pollen de qualité pendant une période où aucune autre espèce ne se trouve en floraison.
- Modifier les lois et règlementations de la législation forestière et notamment l’article 54 du Dahir du 10/10/1917 et les articles 13,14,15 et 16 de l’arrêté viziriel du 04 /09/2018 sur le transport, l’emmagasinage, le commerce et l’exportation des caroubes. En effet, la considération de la caroube comme produit forestier a été faite par le protectorat français afin de protéger ses premières unités de concassage qui ont vu le jour en 1951 à Kénitra. Ainsi, le cératoniculteur n’aura plus besoin d’un permis de colportage pour le transport et la commercialisation de ses produits, chose qui lui demande actuellement beaucoup de déplacement et de frais auprès des représentations forestières diverses.
- Octroyer aux populations riveraines des forêts et bénéficiant des droits d’usages le droit de récolte de caroube existant à l’intérieur de ces forêts pour éviter la récolte prématurée. D’après la littérature, le caroubier forestier représentait 25% du patrimoine marocain (soit 7000 ha sur 30.000 ha estimée). Les plantations effectuées dans le cadre du Plan Maroc Vert (PMV), de l’ordre de 19.000 ha, ont réduit ce pourcentage à 14%. Les plantations prévues dans le cadre de la stratégie Génération Green (GG) sont de l’ordre de 100.000 ha ce qui réduira en plus plus le pourcentage de caroubiers du domaine forestier vu que les nouvelles plantations en forêt connaissent un surpâturage.
- Organiser les ceratoniculteurs à l’échelle du territoire en coopératives et associations à l’instar des régions de Beni Mellal, Khénifra et l’Oriental où des associations régionales ont été créées.
- Sensibiliser les agriculteurs sur les techniques de greffage permettant la conservation de la diversité génétique tout en améliorant la production. Le pourcentage de greffage de chaque arbre mâle doit être inférieur à 75%.
- Revoir le pourcentage de mâles de 10% copié sur les espagnoles qui disposent actuellement de 22 variétés sélectionnées, sachant qu’aucune recherche à ce jour n’a abordé le problème de la compatibilité pollinique et que dans la nature les mâles dépassent 54%.
- Créer des coopératives régionales constituées de lauréat(e)s des instituts de formation spécialisés dans la production de plants et le suivi des plantations pour permettre la conservation génétique à l’échelle de chaque région dans le cadre de la labélisation des produits de terroir dans l’avenir. En effet, au Maroc il existe trois grandes populations :
- Au sud une population endémique dans l’Anti Atlas avec un rendement moyen en graine compris entre 18 et 21% et avec une pulpe peu sucrée. Les graines de cette zone peuvent être utilisées dans la production de porte-greffes, vu que les clones sont très résistants au déficit hydrique,
- Au centre (Moyen Atlas) une population dont le rendement moyen est compris entre 24 et 26% et avec une pulpe peu sucrée. Les greffons seront utilisés pour les plantations ayant un but de production de graines.
- Au nord (nord de Meknès, Taounat) une population dont le rendement moyen en graine est compris entre 15 à 18% avec une pulpe très sucrée. Les greffons peuvent être utilisés dans les plantations ayant pour but de produire de la pulpe, substitut du cacao, pour alléger la facture d’importation.
- Interdire l’importation de gousses de caroubes dans l’avenir et constituer une commission qui procèdera à des investigations sur la traçabilité et le mouvement des gousses importées au cours de cette année pour obliger les importateurs à les exporter comme graines d’origine étrangère. Notre production de cette année risque de ne pas être exportée vu qu’elle est constituée en grande partie de graines étrangères et en graine non matures.
- Encourager la recherche scientifique dans le domaine par l’octroi de bourses aux doctorants par les organisations professionnelles et celles agissant dans le cadre du développement durable et de l’agroécologie.
- Evaluer l’intérêt d’une recherche scientifique relative à l’addition de 10 à 12% de farine de caroube (pulpe broyée) dans la pâte à pain, ce qui permettrait d’alléger la facture d’importation de blé.
Bien que la filière de la caroube traverse actuellement et à très court terme des difficultés de commercialisation, elle reste une filière d’avenir pour le Maroc. La caroube entre dans plusieurs industries (agroalimentaire, charcuterie, pharmaceutique, cosmétique, textile, impression, photographie, forage, …). Par ailleurs, le caroubier remplit plusieurs rôles sylvopastoraux, environnementaux, dans la restauration des sols et la lutte contre l’érosion pluviale et éolienne. De nombreuses autres utilisations lui seront sans doute dévolues dans l’avenir, à l’instar de celles qui entrent dans l’alimentation humaine comme substitut au cacao, dont les superficies seront réduites suite aux changements climatiques.
1 expert international (écosystème, production de plants, suivi des plantations et valorisation agroalimentaire du caroubier)
2 expert international (écosystème, production de plants et suivi des plantations du caroubier)
3 expert international (transformation des sous-produits du caroubier)