Capable de s’attaquer à un large spectre d’hôtes, D. suzukii affectionne particulièrement les fruits rouges (cerises, fraises, framboises…) et peut, dans une moindre mesure, provoquer des dégâts sur des fruits à l’épiderme plus épais comme les abricots. Outre sa polyphagie, elle se distingue des autres espèces de drosophiles par sa capacité à pondre dans les fruits en cours de maturation grâce à son ovipositeur sclérifié. Outre les dégâts directs, la ponte des œufs sous la peau du fruit et le développement des larves favorisent les contaminations secondaires, qui peuvent entraîner la pourriture rapide des fruits.
Drosophila suzukii est une mouche qui a été décrite pour la première fois en 1931 au Japon. Ses fortes capacités d’adaptation et de dispersion géographique lui ont permis d’infester progressivement les continents asiatique, américain, européen et africain. En Europe, les premières détections ont été signalées en Octobre 2008 en Espagne (Catalogne), puis en Septembre 2009 en Italie et dans le Sud-Est de la France. Au Maroc, les premiers spécimens de Drosophila suzukii ont été découverts l’été 2013 sur une culture de framboisier dans la région du Loukos.
De l’avis des experts, beaucoup de facteurs constituent un grand risque que Drosophila suzukii s’installe durablement et provoque de grosses pertes de récoltes, notamment : le grand nombre d’œufs pondus, la succession rapide des générations, la forte densité de plantes hôtes cultivées ou sauvages, la bonne adaptation au climat ainsi que la forte mobilité des mouches et leur dissémination potentielle dans les fruits récoltés.
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Comprendre sa biologie et son comportement
Les œufs sont déposés sous l’épiderme du fruit ; ils ont un aspect légèrement transparent, laiteux et luisant, et mesurent entre 0,18 à 0,6 mm. Deux filaments reliés à l’œuf peuvent ressortir du fruit : ce sont les tubes respiratoires qui sont souvent fusionnés entre eux et ont l’apparence d’un fil blanc. Les œufs, les trous de ponte ainsi que les tubes respiratoires ne sont visibles qu’à la loupe binoculaire.
Les larves peuvent être nombreuses à l’intérieur du fruit : on peut en trouver plus d’une quarantaine dans un seul fruit. Elles sont observables au niveau d’une zone molle, souvent oxydée, mesurent de 0,7 mm à 3,5 mm et sont de couleur blanc-crème. Des stigmates postérieurs prolongent l’abdomen et forment une excroissance. Deux crochets buccaux de couleur noire sont aussi visibles sous loupe binoculaire.
Les adultes ont l’apparence des drosophiles communes que l’on trouve sur des fruits en sur-maturité ou abîmés. Ils mesurent de 2,6 à 3,4 mm, la femelle étant généralement plus grande que le mâle. Ce dernier est reconnaissable à la tâche noire qui colore l’extrémité de chacune de ses ailes. Celle-ci est visible à l’œil nu pour une personne habituée. Ces tâches apparaissent 10 heures après l’émergence du mâle et deviennent très visibles en deux jours.
Contrairement aux drosophiles européennes (surtout Drosophila melanogaster, mouche du vinaigre), qui, attirées par le gaz d’éthylène se dégageant au cours du processus de maturation, ne pondent leurs œufs que dans des fruits trop mûrs et même pourrissants, les femelles de Drosophila suzukii possèdent un ovipositeur assez puissant pour pénétrer dans les fruits sains qui sont encore sur la plantes pour y déposer les œufs. Ces derniers éclosent en 1 à 3 jours puis trois stades larvaires se succèdent (5-7 jours) avant la pupaison (7-9 jours).
La pupe se forme le plus souvent à l’extérieur du fruit. Une fois l’adulte prêt à émerger, il déchire la pupe pour se libérer.
Dégâts
Ils sont causés par les adultes, indirectement par la ponte qui perce la baie et par les larves, et directement par consommation des fruits dont la mouche introduit ses œufs en perçant la peau. Les larves émergentes se développent à l’intérieur en se nourrissant de la pulpe ce qui favorise le développement de bactéries et de moisissures, conséquence d’un pourrissement du fruit. Les dégâts provoqués par ces mouches peuvent entrainer jusqu’à 80 % de pertes chez certains producteurs.
Influence de la température
La survie des mâles et des femelles de D. suzukii est fortement affectée par la température et dépend du temps d’exposition. Des essais ont été conduits avec des individus adultes âgés de 5 jours (21°C, 60% d’hygrométrie, cycle 12:12) qui ont ensuite été soumis à de basses températures (2°C, 0°C, -2°C ou -4°C pendant 8 à 144 h selon la température testée). Ces essais ont montré que la résistance au froid des femelles est supérieure à celle des mâles et que la fécondité des femelles n’est pas altérée. L’effet des températures sur le développement des populations a été évalué par l’élevage de D. suzukii à des températures de 5, 10, 15, 23 et 32°C. Le développement des populations a été optimal à 23°C et très lent à 15°C. A 32°C, les drosophiles introduites sont mortes durant les premiers jours de l’essai. Dans le cadre d’un réseau de piégeage, plus de la moitié des individus a été capturée à des températures comprises entre 10 et 20°C.
Influence de l’hygrométrie
En conditions sèches, les captures semblent diminuer fortement, mais il n’est pas possible actuellement de savoir si ces diminutions reflètent une mortalité importante ou s’il s’agit d’une période à laquelle l’insecte est moins actif et donc moins capturé. En effet, D. suzukii est un insecte qui recherche particulièrement la fraîcheur et privilégie les zones où l’humidité est forte. Dans le cadre d’une étude, plus de la moitié des individus a été capturée à des humidités relatives comprises entre 60 et 80 %. Des résultats récents ont montré que les vols de D. suzukii auraient plutôt lieu au crépuscule et suggèrent eux aussi que ce ravageur préférerait des températures douces et des taux d’humidité relative importants.
La prophylaxie, un moyen de contrôle incontournable
Les mesures indirectes sont celles qui créent des conditions défavorables pour les populations de drosophile et réduisent ainsi le risque d’infestation
Entretien des cultures
suzukii préfère les environnements frais (températures douces et hygrométrie assez élevée). Il est préférable d’éviter de favoriser l’humidité dans les cultures : l’irrigation doit être maîtrisée et il convient de limiter la présence des points d’eaux stagnantes dans les cultures ou à proximité. De plus, il importe de veiller à la bonne aération des cultures, par exemple en nettoyant régulièrement les feuilles fanées des fraisiers, en limitant le nombre de cannes/mètre linéaire en framboisiers, en entretenant le sol dans les tunnels, en maintenant un enherbement ras et enaméliorant la circulation de l’air. Il est aussi important de ne pas laisser de fonds de cueille.
Fréquence de récolte
Les observations en culture de fraise ou de framboise ont montré que des récoltes rapprochées (au minimum deux récoltes/semaine) permettent de limiter la présence de fruits en sur-maturité, sources d’infestation, et des dégâts. Il est donc important d’adapter les dates de récoltes en fonction de la pression de D. suzukii et d’éviter les récoltes en sur-maturité. Pour les fruits rouges, fraise et framboise, les cueillettes serrées sont préconisées. Les dégâts ont souvent été moins importants dans les fraiseraies récoltées trois fois par semaine plutôt que deux.
Gestion des déchets de récolte
Il est fortement recommandé de sortir les écarts de tri de la parcelle et de les éliminer de façon rigoureuse pour éviter toute contamination ou le développement de la population. Le stockage au soleil (solarisation) des déchets de récolte, dans un contenant hermétique (sac, palox, bidon…), est une technique efficace pour détruire les œufs, les larves et les adultes de D. suzukii. Le système doit permettre l’augmentation de la température et les déchets doivent être suffisamment liquides pour permettre la fermentation et l’asphyxie des larves. Après une semaine d’exposition, les déchets peuvent être vidés sur le sol sans qu’il n’y ait de risques d’infestation par D. suzukii. Il est cependant possible que d’autres espèces de drosophiles viennent s’y développer.
En cas d’enfouissement, l’emplacement doit être profond, plus de 30 cm, mais le risque de réémergence persiste. Le compostage n’est pas conseillé. La destruction est contraignante sur les exploitations mais elle est nécessaire. Les expériences ont montré que sans évacuation et destruction des fruits touchés, les dégâts sont toujours aussi importants.
Assainissement des cultures sous abris
En cas d’attaque importante en culture sous abris, il est possible d’assainir la parcelle en fin de culture en augmentant la température. En effet, pour des températures supérieures à 30°C, les œufs ne sont pas viables et les larves ne se développent pas. Les essais ont montré que sous abris, des températures supérieures à 40 °C, en moyenne une heure par jour et pendant six jours, sont efficaces pour détruire les stades œufs et larves de D. suzukii dans les fruits, en fin de culture.
Passage au froid après récolte
Les tests mis en place sur fraise ont montré qu’un passage au froid (-1 °C à 2 °C) sur une période de 24 à 72 heures limite la survie des œufs et le développement des larves. Les températures supérieures à 2 °C sont inefficaces. Cependant, ces températures ne peuvent pas être mises en œuvre à cause de la fragilité des fruits de fraise, et de l’incompatibilité technique et économique de la réfrigération dans le circuit commercial.
Levier variétal
Des essais ont été conduits sur des variétés de fraises aux caractéristiques contrastées (couleur, fermeté, taux de sucre, acidité…). Ils n’ont pas permis de mettre en évidence de différences entre les variétés. Le choix variétal ne semble donc pas être à ce jour un levier pour éviter les dégâts de D. suzukii.
Stratégies de lutte
Le recours à la lutte chimique seule ne suffira paspour maîtriser ce ravageur car on peut s’attendre à ce que Drosophila suzukii développe rapidement des résistances, sans oublier que des traitements seraient nécessaires pendant les récoltes puisque les attaques surviennent peu avant et à cause de l’immigration permanente de nouvelles drosophiles dans les plantations et de l’étalement des récoltes de la plupart des espèces de petits fruits. Il faudra donc utiliser de multiples stratégies à long terme pour assurer une maîtrise durable et efficiente de ce ravageur.
Les filets insect-proof en serre et en tunnel
La pose de filets sur les ouvertures des abris permet de limiter les entrées de D. suzukii et de réduire les dégâts sur la culture. Des filets avec des mailles inférieures à 1 mm² ont été testés et ont montré de bons résultats. Toutefois, les filets peuvent impacter le climat (limitation de l’aération) et le rendement (moindre entrée des pollinisateurs). Les auxiliaires naturels sont aussi bloqués par le filet et ne peuvent pas entrer dans la culture. De ce fait, la gestion des autres ravageurs est souvent plus compliquée sous filet.
Surveillance des vols
Il est conseillé tout d’abord de surveiller l’évolution des populations dans les régions concernées afin de détecter les premiers vols et de déclencher si nécessaire la mise en œuvre de moyens de lutte. Quand ils existent, les Bulletins de santé des végétaux permettent de connaître la situation en temps réel et son évolution prévisionnelle. Il est également possible de suivre la pression en installant des pièges.
La pose de pièges de détection associée à des observations régulières des cultures, permet de détecter le retour de D. suzukii et de déclencher si nécessaire la mise en œuvre de moyens de protection. Le piégeage de détection est une technique peu coûteuse et facile à mettre en place. Dans les cultures sous abris, il est préférable d’installer le piège à l’extérieur afin de ne pas favoriser l’entrée du ravageur dans la culture. Les pièges seront suspendus dans des endroits ombragés dans les bords des parcelles et régulièrement contrôlés. Après utilisation, l’appât liquide ne doit pas être versé dans les cultures lors du contrôle des pièges.
Le piégeage s’accompagne d’observations régulières pour être alerté rapidement de l’éventuelle présence du ravageur dans les cultures. Les mâles sont facilement reconnaissables à leurs taches sombres sur les ailes, et on peut en général tabler sur un rapport mâles-femelles d’environ 1:1.L’observation des fruits dans la culture permettra de repérer les premiers signes d’infestation : des symptômes apparents comme le brunissement ou l’affaissement de l’épiderme.
Piégeage artisanaux ou spécifiques ?
Certains producteurs fabriquent eux-mêmes des pièges artisanaux à partir de simples bouteilles en plastique trouée et un attractif constitué généralement d’eau, de vinaigre de cidre et de liquide vaisselle. Il existe également d’autres mélanges à base de levure boulangère + Sucre + Eau ou macérât de framboise.
Quant aux fabricants de pièges professionnels, ils mettent en avant de nombreux avantages de leurs pièges performants et de l’attractif spécifique utilisé, notamment :
– La couleur rouge spécialement étudiée pour attirer le plus grand nombre de drosophiles. En effet, tous les rouges n’attirent pas au même degré la Drosophila suzukii
– Rapport idéal Volume du piège/surface d’évaporation (trous) : un bon piège doit évaporer de manière suffisante afin que les drosophiles puissent détecter l’odeur de l’attractif avant celle des fruits de la culture.
– Forme des trous étudiée pour rendre difficile la sortie de l’insecte
– Matière plastique durable : ce qui permet de réutiliser le piège pendant plusieurs saisons, d’où son avantage économique par rapport à des pièges moins stables.
Par ailleurs, selon les sociétés spécialisées, leurs attractifs offrent également plusieurs avantages :
– Sélectivité : La majorité des attractifs ne sont pas spécifiques pour D. suzukii, mais attirent toutes sortes d’insectes. Donc si le piège n’est pas sélectif, la contamination par d’autres insectes rendra impossible la lecture du piège.
– Propreté et transparence : l’attractif étant liquide et transparent il rend l’observation des drosophiles beaucoup plus facile dans le piège. De plus, au moment de changer le piège, il n’y a que très peu de salissures.
– Attractif toute l’année : il est à base de vinaigre et d’autres composés qui le rendent encore plus appétant pour D. suzukii. Les levures, elles, ne sont efficaces que lorsque les températures sont élevées et elles n’attirent pas les drosophiles de manière égale sur toute la saison.
– Longévité : il peut durer jusqu’à 2 ou 3 semaines en conditions de températures fraiches. Les levures durent moins.
A noter que le piégeage de masse peut être effectué avec les mêmes pièges que pour la surveillance du vol, mais il faut poser un piège tous les deux à dix mètres. Au début de la coloration des fruits, les pièges doivent être posés d’abord dans les bords des parcelles pour retarder l’immigration des drosophiles dans les cultures. Plus tard, les pièges doivent être disposés dans toute la culture selon un quadrillage.
Surveillance des attaques sur les fruits
Pour déterminer si les fruits sont attaqués par des larves, prélever des échantillons de 100 fruits. Sur les fruits à peau lisse (myrtilles), il est possible, à l’aide d’une loupe, de voir les endroits où les œufs ont été pondus. Les framboises ou les fraises peuvent être mises au congélateur pendant quelques heures. Les larves sortent des fruits et peuvent être comptées. Une autre méthode simple pour identifier la présence de larves de Drosophila consiste à conserver pendant 24 heures à température ambiante des fruits qui semblent intacts puis de les plonger dans un récipient transparent (par exemple un verre) rempli d’eau du robinet additionnée d’une ou deux gouttes de savon liquide ou de détergent pour la vaisselle. Les larves peuvent être comptées sur le fond du récipient après 10 à 15 minutes.
Quelles solutions phytosanitaires ?
Cinq produits insecticides sont actuellement homologués contre Drosophila suzukii au Maroc sur les principales cultures de fruits rouges à savoir la myrtille, la framboise, la fraise et la mure. Consulter l’index phytosanitaire sur le site de l’ONSSA pour connaitre les délais avant récolte, le nombre d’applications maximum ainsi que les intervalles à respecter entre les applications. Il est fortement recommandé de raisonner la protection chimique vu que les possibilités importantes de mutation de cet insecte risquent de favoriser les phénomènes de résistance.
De plus, l’utilisation non raisonnée a un effet toxique sur les auxiliaires. Ceci est d’autant plus vrai que la disparition de la faune auxiliaire induit de fortes attaques des autres ravageurs (thrips, acariens…).
A souligner par ailleurs que la lutte individuelle n’est pas suffisante. Il faut en effet une mobilisation générale des producteurs des régions concernées pour contrôler efficacement cet insecte.
De nouvelles pistes à explorer
Mais la protection phytosanitaire n’est pas la seule qui est étudiée de près. Des travaux sont entrepris pour identifier d’autres méthodes de protection qui pourraient à terme enrichir les stratégies de protection.
La lutte biologique contre D. suzukii s’oriente vers le biocontrôle par parasitoïdes. Deux parasitoïdes de pupes de drosophiles communes ont également la capacité de parasiter D. suzukii, mais leur action n’est pas encore concluante et la recherche se poursuit. Il existe également des parasitoïdes efficaces sur larves de D. suzukii au Japon, mais qui ne sont pas naturellement présents dans nos régions. Leur introduction est envisagée dans des pays européens, mais soumise à l’obtention d’une autorisation compte-tenu de la nouvelle réglementation sur les macroorganismes non indigènes.
Une protection des cultures par des produits répulsifs peut être envisagée. À ce jour, les extraits d’ail utilisés dans certaines cultures comme répulsifs n’ont pas montré d’efficacité dans les essais conduits sur fraise. En revanche, certaines huiles essentielles sont étudiées et auraient un effet sur Drosophila suzukii : Arbre à thé, citronnelle et thym.
Les champignons entomopathogènes comme option de lutte biologique sont également une piste prometteuse. Des chercheurs ont constaté que l’utilisation d’un nouvel isolat d’un champignon entomopathogène réduit très efficacement la reproduction des mouches vierges de suzukii. Il reste cependant quelques obstacles à gérer avant que ce produit ne devienne commercialisable.
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