L’une des conséquences du changement climatique est la multiplication des sécheresses en Union européenne, d’où un recours plus fréquent à l’irrigation lorsqu’elle est possible et la nécessité d’optimiser les apports d’eau. Des économies d’eau peuvent être obtenues par des leviers agronomiques (qui, principalement, accroissent la rétention d’eau par le sol et/ou limitent les pertes par évaporation) ou par le biais de la technologie.
La modernisation de l’irrigation au niveau technologique peut être réalisée en ajoutant certains dispositifs à un système existant : par exemple, un système d’irrigation à débit variable peut être adapté sur pivots, ou bien la vitesse de rotation du canon sur un enrouleur peut être gérée par un contrôleur.
On peut aussi tirer parti de la technologie en adoptant un système d’irrigation potentiellement plus efficient – par exemple, en passant de l’irrigation par aspersion à l’irrigation localisée (tableau 1). Tous les systèmes d’apports d’eau localisés éliminent, en effet, la dérive et l’évaporation directe qui se produisent normalement en aspersion. Ils réduisent aussi le ruissellement et le drainage, car ils diminuent les quantités d’eau appliquées (généralement proches mais en dessous de la saturation du sol). Le contrôle des quantités d’eau apportées est également meilleur, et les débits plus faibles évitent généralement la saturation des sols. L’irrigation au goutte-à-goutte élimine, de plus, l’interception de l’eau par le feuillage.
Par ailleurs, une distribution spatiale de l’irrigation plus uniforme contribue à améliorer l’efficience de l’irrigation et à réduire les pertes en eau – sauf dans des conditions spécifiques (pentes marquées, profondeurs ou types de sol inégaux) où il est préférable d’appliquer des doses différentes sur les différentes parties des parcelles. En général, les systèmes d’irrigation localisée n’économisent l’eau que si une uniformité satisfaisante est obtenue.
La gestion de l’irrigation est un autre moyen, éventuellement complémentaire du premier, d’économiser l’eau d’irrigation : par exemple, en choisissant l’heure des apports (jour ou nuit), en optant pour une irrigation déficitaire régulée, ou encore en ajustant la fréquence des apports et les quantités d’eau selon une stratégie d’irrigation optimisée par un modèle et/ou en fonction des conditions climatiques et de l’état hydrique de la plante et/ou du sol, comme dans le cas de l’outil de pilotage IRRINOV.
Le suivi du statut hydrique réel du sol évite la sur-irrigation et, par conséquent, le ruissellement, le drainage et l’eau résiduelle dans le sol après la récolte. Il implique toutefois d’investir dans des capteurs à installer dans le champ. Les capteurs les plus couramment utilisés sont les sondes capacitives et tensiométriques(1).
Un large éventail de situations prises en compte
L’objectif est d’aider dans leurs choix les agriculteurs qui souhaitent moderniser ou optimiser leur installation d’irrigation. D’autant que l’Union européenne soutient, via le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER), les investissements dans des équipements qui améliorent l’efficience de l’irrigation et, notamment, ceux économisant au moins 5 à 25 % d’eau – un minimum qui dépend des paramètres techniques de l’installation ou de l’infrastructure existante.
« La modification des pratiques, notamment l’adoption d’outils de pilotage, est aussi importante que les investissements dans des équipements économes en eau. »
L’étude a estimé, dans chaque cas, l’économie d’eau obtenue avec un système d’irrigation localisée (goutte-à-goutte de surface ou enterré, ou micro-aspersion) par rapport à un système d’irrigation par aspersion (canon enrouleur, rampe sur enrouleur, pivot ou couverture intégrale). Deux gestions de l’irrigation ont été également comparées, en estimant l’économie d’eau réalisée en utilisant un pilotage de l’irrigation à l’aide de sondes pour ajuster la dose d’irrigation à la teneur en humidité du sol, par rapport à une irrigation basée soit sur les pratiques traditionnelles des agriculteurs, soit sur les bulletins hebdomadaires de conseil en irrigation, soit sur des évaluations de l’évapotranspiration maximale et n’utilisant aucun dispositif de pilotage.
Pour chaque système d’irrigation ou de pilotage, la quantité totale d’eau d’irrigation appliquée pendant la saison culturale avec les systèmes d’irrigation par aspersion et localisée est enregistrée, ainsi que les rendements associés. Le déficit hydrique de la saison culturale est également calculé ; c’est le rapport de l’évapotranspiration potentielle cumulée sur le cumul des précipitations sur la saison culturale. Il doit être considéré comme un indicateur de la sécheresse climatique, et non comme un besoin quantifié d’eau d’irrigation. Les valeurs supérieures à 1 représentent des situations avec un déficit hydrique effectif pour les cultures qui nécessitent une irrigation ; celles égales ou inférieures à 1 ne nécessitent généralement pas d’irrigation et ne sont donc pas prises en compte dans cette étude.
L’irrigation localisée est plus économe en eau… sauf en cas de déficit hydrique marqué
L’économie d’eau observée avec les systèmes d’irrigation localisée par rapport à l’aspersion varie de 0 à 77 %, ce qui témoigne d’une très grande variabilité (figure 1). Les premiers contribuent, dans une plus ou moins grande mesure, à réduire la quantité d’eau appliquée pendant la saison culturale grâce à leur plus grande efficience d’application, comparé aux systèmes d’aspersion qui engendrent des pertes.
Ces économies peuvent également être attribuées à l’utilisation plus efficace de l’eau de pluie. En effet, étant donné que l’intervalle entre les irrigations par aspersion est de trois à dix jours (selon la région, le climat, le sol), et que les prévisions météorologiques sont moins précises au-delà de trois-quatre jours, des précipitations peuvent survenir entre deux irrigations par aspersion, entraînant un gaspillage d’eau d’irrigation.
Cependant, ces économies d’eau tendent à diminuer lorsque le déficit hydrique augmente, et deviennent même nulles pour un déficit hydrique supérieur à 4,5, quel que soit le système d’irrigation ou le type de culture (figure 1). Cela peut s’expliquer par la réduction des pertes par drainage dans les systèmes par aspersion en année sèche. Lors des années humides, l’eau de pluie peut remplir partiellement la réserve d’eau du sol, de sorte qu’une partie des quantités d’eau d’irrigation appliquées en aspersion est perdue par percolation profonde ou par stockage dans le profil à la fin de la saison, contrairement aux systèmes automatisés localisés où de petites quantités d’eau sont appliquées quotidiennement. Lors des années sèches, toute l’eau d’irrigation contribue à la reconstitution des réserves en eau du sol, de sorte qu’aucune perte ne se produit et que l’efficience globale d’irrigation des systèmes d’aspersion augmente et se rapproche de celle des systèmes localisés.
Le suivi hydrique du sol s’avère déterminant pour économiser l’eau
Dans tous les cas, les quantités d’eau utilisées sont plus faibles lorsque l’irrigation est gérée avec des sondes d’état hydrique sol. Les économies d’eau observées varient alors entre 8 et 68 % (figure 2).
Les sondes hydriques contribuent également à optimiser l’exploitation des précipitations naturelles. Dans le cas de l’irrigation par aspersion, par exemple, la première irrigation de la saison peut être supprimée si la teneur en eau du sol reste correcte, et parfois aussi la dernière, ce qui réalise une économie d’eau consistante.
Les économies d’eau liées au pilotage ne semblent pas dépendre significativement du déficit hydrique de l‘année. C’est parce que le pilotage avec les sondes de sol est basé non sur les quantités totales de précipitations depuis le début de la saison culturale, mais sur leur effet réel sur la teneur en eau du sol. Cependant, il faudrait davantage de données pour confirmer ce résultat. Des expériences complémentaires sont aussi nécessaires pour vérifier si les sondes de sol permettent des économies d’eau également lors d’années d’extrême sécheresse (déficit hydrique supérieur à 4,5).
(1) Plus d’informations, par exemple, dans l’article « Gestion quantitative de l’eau : bien utiliser les sondes capacitives, n°471 de Perspectives Agricoles (novembre 2019).
(2) D’après l’article de Claire Serra-Wittling, Bruno Molle et Bruno Cheviron : « La modernisation des systèmes d’irrigation en France : quelles économies d’eau possibles à l’échelle de la parcelle ? » paru en novembre 2020 sur le site « Sciences, Eaux & Territoires » d’INRAE.
Économies d’eau à la parcelle ne signifient pas économies à l’échelle du territoire !L’adoption d’équipements d’irrigation plus efficients entraîne souvent, par « effet de rebond », une augmentation des prélèvements d’eau, en raison de changements de cultures et de types de rotation ou de l’extension des surfaces irriguées. S’il faut réduire les prélèvements d’eau à long terme à l’échelle d’un territoire, l’amélioration de l’efficience de l’irrigation devra être couplée à des mesures qui préservent globalement les ressources en eau