Parfois diabolisé face à la montée en puissance de l’agriculture de conservation des sols, le labour utilisé à bon escient apporte des solutions. À l’échelle de la rotation, ses effets négatifs peuvent être compensés par des pratiques vertueuses comme l’implantation de couverts et l’apport de matière organique. Retrouvez des avis d’experts et des témoignages d’agriculteurs sur le sujet.
« Faut-il travailler le sol ? » Telle est la question posée par l’ouvrage coordonné par Arvalis et AgroParisTech paru en 2014. Dans leur conclusion, les auteurs constatent qu’il existe aujourd’hui une « multitude de combinaisons possibles entre les différentes techniques de travail du sol » et que l’enjeu n’est pas tant de les comparer mais plutôt de définir les modalités appropriées de leur mise en œuvre. « La question prépondérante n’est plus « pour ou contre le labour ? » mais « comment optimiser la technique choisie, avec ou sans labour ? » et « pour quel objectif ? » soulignent l’agronome Jean-Paul Bordes (Arvalis à cette époque, désormais Acta) et la chercheuse Isabelle Cousin (Inrae).
En fonction des objectifs de l’agriculteur, un travail du sol profond peut s’imposer.
« Le labour rend des services, reconnaît Jérôme Labreuche, l’un des coordinateurs de l’ouvrage chez Arvalis. C’est une solution curative à certains problèmes. Il atténue les difficultés de désherbage notamment en cas de forte pression graminées. Il permet de semer en conditions humides comme ce fût le cas à l’automne 2019 où certains agriculteurs ont ressorti la charrue. Il est utile aussi pour restructurer le sol en situation de tassement, mais il faut veiller néanmoins à ne pas créer de semelle de labour, notamment en sols limoneux. » D’après Arvalis, quand la structure est dégradée, l’action régénératrice du climat et de l’activité biologique est variable selon le type de sols et demande généralement plusieurs années. En fonction des objectifs de l’agriculteur, un travail du sol profond peut alors s’imposer. « Certains préféreront ne pas déroger à leur choix du non-labour, quitte par exemple à renoncer à semer un blé tardivement, observe Jérôme Labreuche. Cela peut se révéler plus compliqué mais tout dépend de leurs priorités. »
Large gamme d’humidité pour le labour
Pour Arvalis, toute action corrective de la structure du sol (travail superficiel, décompactage, labour) doit découler d’un diagnostic évaluant l’ampleur et la profondeur des tassements : plus ceux-ci sont profonds, moins ils sont facilement réversibles. Il faut aussi prendre en compte la sensibilité au tassement de la culture à venir. En outre, si le labour peut se faire dans une gamme d’humidité assez large, ce n’est pas le cas du décompactage, qui a besoin d’un sol friable. « Avec la sécheresse des deux derniers étés, il y a rarement eu l’humidité suffisante pour décompacter avant le semis du couvert, souligne Jérôme Labreuche. Il est parfois difficile de travailler les sols au moment optimal. Cela relève aussi de la répartition de la charge de travail sur l’année. »
Pour remettre un sol en état, « certaines cultures peuvent recréer de la porosité avec leurs racines, à condition que la plante soit présente pendant au moins un an, écrivait en décembre 2019 Pascale Métais d’Arvalis. En semis direct, dans une situation favorable, il a fallu deux ans de présence de couverts végétaux pour retrouver une porosité équivalente au système labouré. »
« Beaucoup de contre-vérités circulent »
Jean-François Vian est enseignant-chercheur en agronomie des systèmes et sciences du sol à l’Isara de Lyon. Il a consacré sa thèse à l’effet sur les microorganismes du sol de différentes techniques de travail du sol en agriculture biologique. « Beaucoup de contre-vérités circulent dans le domaine de la fertilité des sols, observe-t-il. Le labour est diabolisé, accusé de stériliser les sols. Pourtant nous avons observé une bonne fertilité en situation de labours bien faits. Souvent, ce sont les conditions d’application qui sont mauvaises, pas la pratique en elle-même. Il faut intervenir au bon moment, sur un sol bien ressuyé, et au maximum à 20 cm de profondeur. »
Des travaux scientifiques montrent que les sols travaillés sont plutôt dominés par des espèces bactériennes, tandis que la diminution ou la suppression du travail du sol favoriserait le développement de champignons. Les communautés microbiennes sont par ailleurs influencées par l’usage du glyphosate. Côté macrofaune, des études indiquent que parmi les carabes, certaines espèces sont inhibées par le labour et d’autres plus abondantes. Tandis que la présence d’un mulch en agriculture de conservation serait un habitat propice aux limaces. « Aucun système n’est vertueux à 100 %, résume Jean-François Vian. En agriculture biologique, se séparer de la charrue me semble risqué. Il vaut mieux détruire une prairie ou une interculture par un labour que multiplier les passages superficiels. Le labour est utile aussi pour réduire l’usage des herbicides. »
Chez B. Merlo et M. Cruz-Mermy (01), labour systématique avant cultures de printemps
À côté de Bourg-en-Bresse (Ain), Benoît Merlo et Méryl Cruz-Mermy ont une ferme de polyculture-élevage bio comptant 75 mères Aubrac, des porcs de plein air et 293 ha. « Notre objectif est de sécuriser l’assolement et les récoltes, explique Benoît. Face aux aléas, notre approche n’est pas dogmatique mais opportuniste. Nous cultivons une quinzaine d’espèces différentes, dans des rotations de cinq ans au moins. Pour les cultures d’hiver, nous optons au maximum pour le non-labour à l’aide d’un déchaumeur à dents Horsch Terrano. Mais nous labourons systématiquement avant les cultures de printemps à 15-20 cm de profondeur car le rendu est bien meilleur. Cela réchauffe le sol et active la minéralisation. Cela permet aussi d’enfouir le fumier ou le compost. De plus, pour des cultures à faible développement végétatif comme la lentille et le lin, nous prenons de l’avance sur les adventices. »
Contrairement à une idée reçue, labour et couverts ne sont pas incompatibles.
Pour éviter la compaction, Benoît Merlo veille à intervenir en conditions ressuyées, avec des pneumatiques larges et peu gonflés, et un lestage du tracteur bien équilibré. Ses sols sont fertiles et les rendements au rendez-vous. Ils ont montré de bons résultats dans l’étude AgrInnov (2012-2015) qui visait, en partenariat avec 250 agriculteurs, à appréhender l’impact des pratiques sur le fonctionnement biologique des sols.
« Les effets négatifs du labour peuvent être compensés par l’usage des couverts, l’apport de matière organique et des rotations longues alternant différents types de systèmes racinaires, estime l’agriculteur. Chez moi, les couverts multi-espèces sont systématiques derrière les cultures à paille. » « Contrairement à une idée reçue, labour et couverts ne sont pas incompatibles, confirme Jean-François Vian. En labourant à fréquence raisonnable et en adoptant des pratiques vertueuses comme l’apport de matière organique, la restitution des résidus, l’implantation de couverts et de cultures associées, il y a un effet de compensation à l’échelle de la rotation. »
Source : terre-net