L’agriculture de précision constitue-t-elle un levier de compétitivité ? Gagner du temps en optimisant ses trajectoires dans les parcelles, être plus précis et plus réactif en apportant la stricte dose nécessaire au bon endroit et selon les besoins de la plante, mais aussi mieux préserver l’environnement, voilà quelques-unes des promesses de l’agriculture de précision. Malgré de substantielles avancées dans les techniques de production, l’adoption de ces solutions par les exploitants de grandes cultures est encore inégale, voire marginale pour certaines d’entre elles.
Les exploitants agricoles montrent un intérêt croissant pour les outils d’agriculture de précision. Quels systèmes se cachent donc derrière cette expression valise ? L’un des volets de solutions d’agriculture de précision se révèle relativement accessible. Il regroupe les dispositifs de guidage et d’aide à la conduite, ainsi que la coupure des tronçons.
« Les systèmes de géolocalisation GNSS tels que GPS, Glonass, Beidou ou Gallileo constituent un fondamental de l’agriculture dite de précision », rappelle Corentin Leroux, auteur d’une thèse sur ce sujet et fondateur de la société de conseil en agriculture de précision Aspexit.
En moyenne 35 cm de largeur de coupe non utilisée par sécurité
La donnée prend tout son sens lorsqu’elle est contextualisée à une localisation spatiale et temporelle. En 2018 déjà, un agriculteur sur deux utilisait une solution de géolocalisation, selon l’Observatoire. L’exploitant non équipé d’un dispositif d’assistance à la conduite (barre de guidage ou autoguidage) s’impose une marge de sécurité à chaque passage, dans toutes les étapes de l’itinéraire cultural.
« Cette marge s’ élève à 10 cm en moyenne sur le passage de semoir précédent, mais peut atteindre 60 cm dans le cas du pulvérisateur, équivalant à près de 2 % de la surface traitée, estime Caroline Desbourdes, spécialiste agriculture de précision chez Arvalis. Lors de la moisson, la largeur non utilisée de la coupe atteint 35 cm. Avec un outil de travail du sol, elle représente jusqu’ à 12 % de la parcelle ! Et ces écarts s’ajoutent au recouvrement habituellement observé dans les fourrières et évalué, lui, à 2 ou 3 %. »
Autant dire que le travail est loin d’être optimisé et cela engendre des coûts supplémentaires. « L’ économie générée grâce à l’autoguidage est évaluée entre 10 et 23 €/ha, selon les structures. Par exemple, sur une ferme de type colza/blé/orge, elle oscille entre 13 et 16 €/ha/an. Ceci sans même compter le temps en moins passé dans la parcelle, ni le respect plus aisé des fenêtres météo », conclut Caroline Desbourdes.
Améliorer la productivité du travail
Ce moyen d’améliorer la productivité de son travail a déjà été identifié par une partie des agriculteurs français : selon l’institut, la moitié environ des exploitations seraient aujourd’hui pourvues d’autoguidage, tous niveaux de précision confondus. L’organisme évalue à trois ans le temps de retour sur investissement pour une exploitation de 180 ha dont l’assolement comprend betteraves et pommes de terre, ou six à sept ans dans le cas d’une exploitation céréalière de 300 ha.
Tout agriculteur peut équiper en seconde monte son tracteur, quel qu’il soit, d’un asservissement d’autoguidage RTK par un moteur électrique (d’un coût de quelques milliers d’euros) ou hydraulique (entre 20 et 25 000 € HT). « Selon le type de travail effectué, tous les exploitants n’en ont pas besoin. Pour les autres, cet investissement vite rentabilisé a du sens », confirme Gilbert Grenier, professeur à l’université de Bordeaux, spécialiste de l’agriculture de précision et auteur d’un ouvrage sur le sujet.
Pour les travaux de binage, l’autoguidage exploitant le signal RTK commence même à supplanter les caméras utilisées depuis une vingtaine d’années déjà. Le guidage par GPS RTK a en effet pour avantage de montrer la voie à un ensemble attelé y compris en absence de culture ou dans des cultures associées, là où le traitement des images montre ses limites. Mais cet usage est encore freiné par le niveau de précision qui atteint rarement 2 cm dans les faits.
Des algorithmes pas tous aussi performants
« L’antenne GPS capte bien à ce niveau de précision, mais les algorithmes des boîtiers du marché ne sont pas tous aussi performants pour restituer la trajectoire idéale que doit emprunter la machine. Et surtout, la qualité du travail de paramétrage de la console par l’ installateur est déterminante pour exploiter la précision à l’antenne. », indique Caroline. Selon elle, certains revendeurs manquant de compétences refusent même d’installer un dispositif d’autoguidage pour biner des céréales sans caméra, alors que le potentiel est là. Pour ce genre d’applications, on est encore loin du “Plug & Play” !
La gestion binaire on/off des tronçons de la rampe de pulvérisation ou du semoir offre elle aussi des perspectives intéressantes de performance économique. « Environ 40 % des agriculteurs seraient déjà équipés de matériels capables de gérer la coupure de tronçons, estime la spécialiste en agriculture de précision. L’utilisateur se rend plus facilement compte du gain potentiel à l’usage. Désormais, cette option serait d’ailleurs systématiquement choisie sur les appareils neufs. L’enjeu est plus important encore pour l’application localisée. Par exemple, en appliquant un traitement de façon ciblée sur chardon, l’exploitant économise entre 80 et 90 % d’herbicide ! »
Les données requises pour ce type d’intervention sont regroupées sur une carte de préconisation. Si cette solution semble séduisante sur le papier, elle comporte encore de nombreuses limites dans la pratique. D’abord, les algorithmes, desquels dépend la qualité de détection par le capteur embarqué sur le tracteur ou sur le drone pour établir la carte de préconisation, doivent encore être améliorés afin de gagner en efficacité.
Deuxième volet = modulation intraparcellaire
Aujourd’hui, seuls quelques agriculteurs seraient équipés de prototypes détectant les adventices. Par ailleurs, très peu d’ensembles de pulvérisation du marché parviennent pour l’instant à gérer ces cartes, en raison de problèmes divers: réactivité insuffisante de la régulation sur des zones d’application très courtes, logiciel non adapté ou encore taille trop importante des fichiers pour le processeur de la console. « Nous avons constaté qu’une console Müller Elektronik équipant un appareil Tecnoma est capable de gérer cette tâche », indique l’institut.
Le deuxième volet de l’agriculture de précision concerne la modulation intraparcellaire, déjà disponible de longue date. Le chef d’exploitation pratiquant ce type d’ajustement apporte toujours la dose préconisée par l’OAD (outil d’aide la décision) mais la répartit différemment après avoir caractérisé la variabilité dans la parcelle. Elle peut être réalisée en fonction de la variabilité des sols (P, K, densité de semis) ou en fonction de celle de la végétation (apport tardif d’azote sur blé, azote sur colza).
La modulation intraparcellaire exige toute une phase préalable d’acquisition d’informations complexes et coûteuses chronophage et demandant de la réflexion, qui constitue le principal frein d’accès à l’agriculture de précision
Ainsi, selon Gilbert Grenier, le premier de ces cas de figure a émergé en partie du fait des remembrements : la fusion de parcelles ayant un passé agronomique très différent a incité certains agriculteurs à quantifier les besoins dans chaque zone. Selon Gilbert Grenier, l’effort de vision agronomique qu’appelle la modulation intraparcellaire freine son adoption : « L’agriculteur doit prendre conscience de la variabilité au sein des parcelles, évaluer la qualité et la profondeur des sols… Il doit également suivre toute une phase préalable d’acquisition d’informations complexes et coûteuses, qui prend du temps et demande de la réflexion. » Autant de contraintes qui n’encouragent pas l’exploitant à se lancer. Les cartes de rendement générées par les moissonneuses-batteuses ont initialement été retenues pour fournir des indications de modulation, mais elles ne présentent que rarement d’analogie avec les cartes de sols.
source : terre-net