Insecticides et fongicides, un cocktail mortel pour les abeilles
Des chercheurs recommandent de ne plus utiliser d’insecticides pendant la floraison. Mélangés avec des fongicides – qui à cette période permettent de protéger l’arbre -, ceux-ci en fait constitueraient un cocktail mortel pour les abeilles.
En Californie (États-Unis) tout particulièrement, de nombreuses abeilles domestiques – ainsi que leurs larves – destinées à la pollinisation des amandiers meurent chaque année sans que personne ne comprenne vraiment pourquoi. Alors un entomologiste, expert des abeilles de l’Ohio State University (États-Unis) a enquêté.
Une étude précédente avait déjà montré que certains insecticides considérés comme sûrs pour les abeilles avaient un impact sur leurs larves. Et aujourd’hui, Reed Johnson décrit comment des combinaisons d’insecticides et de fongicides – toujours considérés séparément comme inoffensifs – pouvaient se transformer en cocktails mortels pour les abeilles.
Déclin des abeilles : les effets des pesticides peuvent s’additionner !
Les abeilles et les bourdons ne se limitent pas à la visite d’un seul champ lorsqu’ils butinent, au risque d’être exposés à plusieurs pesticides différents. Cet aspect du problème aurait été trop peu étudié. Car les effets néfastes des néonicotinoïdes ou des pyréthrinoïdes peuvent s’additionner au point de mettre à mal la survie des colonies !
L’année 2012 aura vu paraître un important nombre d’études, souvent sources de fervents débats, traitant de l’impact des pesticides sur les abeilles. Une exposition à des néonicotinoïdes, des composés notamment présents dans le Cruiser, perturberait par exemple les capacités de navigation de ces insectes, allant jusqu’à empêcher le retour à domicile de 31,6 % des butineuses parties en exploration. Les conséquences de ce facteur sur la survie des colonies ont depuis fait l’objet de controverses.
Dans la plupart des cas, seul un effet précis de l’exposition à un insecticide spécifique a été caractérisé. Difficile alors de tirer des règles générales concernant l’emploi des pesticides et la survie des insectes pollinisateurs ou de leurs colonies. L’étude récemment publiée par Richard Gill de l’University of London dans la revue Nature sort donc du lot pour trois raisons. Premièrement, le sujet expérimental n’est autre que le bourdon Bombus terrestris, une espèce plus sensible que l’abeille car ses colonies comptent moins d’individus (quelques dizaines). Deuxièmement, ce sont à la fois les arthropodes et leurs nids qui ont fait l’objet d’attention. Enfin, les insectes ont été exposés à plusieurs pesticides, séparément ou concomitamment !
Dans la nature, des cultures adjacentes ne sont pas toujours traitées de la même manière. Puisque les pollinisateurs ne limitent pas leurs explorations à une seule et même parcelle, ils peuvent être contaminés par plusieurs produits à la fois, par exemple par des néonicotinoïdes ou des pyréthrinoïdes. Sans grande surprise, les effets causés par des expositions successives à chacun de ces agents s’additionneraient, au point de poser parfois de sérieux problèmes !
Des pesticides agissant de concert
Près de 40 colonies réparties en 4 lots ont été observées durant les expériences. Les insectes préalablement munis d’une micropuce RFID étaient libres de sortir explorer leur environnement. Cependant, selon les conditions expérimentales, ils pouvaient rencontrer sur leur passage un récipient contenant du sirop de sucrose enrichi en imidaclopride (un néonicotinoïde se retrouvant dans le pollen) à des doses observables en culture (10 parties par milliard), un papier filtre recouvert de λ-cyhalothrine (pyréthrinoïde pulvérisé sur les feuilles et les fleurs), les deux à la fois ou au contraire rien de tout cela.
Les colonies exposées soit à l’imidaclopride, soit aux deux produits ont vu leur nombre de naissances d’ouvrières chuter de respectivement 27 % et 9 %. Le contact à l’λ-cyhalothrine a quant à lui provoqué la mort de 36 à 39 % des travailleuses (43 % d’entre elles avaient moins de 4 jours). Elles ont été trouvées à l’intérieur des 20 ruches exposées à ce produit. Ce taux est 4 fois supérieur à celui du groupe témoin. Les premiers effets de la double exposition se sont fait sentir au bout d’une semaine, les autres ruches ayant été touchées 15 jours plus tard. Deux colonies parmi les 10 mises en contact avec le couple de pesticides se sont même éteintes avant la fin des expériences, soit en moins de 4 semaines.
Les bourdons récoltent moins de pollen et se perdent
Les expositions ont également eu des effets sur les comportements d’exploration, confirmant ainsi les études précédentes. Les insectes contaminés par les deux agents ont en moyenne réalisé moins de sorties. En revanche, ils ont été un plus grand nombre à s’aventurer hors du nid. Mais pourquoi ? Peut-être car les bourdons ayant consommé de l’imidaclopride ont rapporté moins de pollen que les autres, même s’ils restaient à chaque fois plus longtemps à l’extérieur. Dernier détail d’importance : le nombre de Bombus qui se sont perdus a augmenté de 50 à 55 % par rapport au groupe témoin.
Ainsi, une exposition aux néonicotinoïdes réduirait la collecte du pollen, forçant un plus grand nombre d’ouvrières à sortir et donc à délaisser les larves (qui sont par ailleurs contaminées par les aliments rapportés). Au final, les taux de mortalité cumulés observés pour chaque type d’exposition parlent d’eux-mêmes : ils sont de 41 %, 51 % et 69 % respectivement pour les lots mis en présence d’imidaclopride, d’λ-cyhalothrine ou des deux (contre 30 % dans le groupe témoin). Les colonies concernées par la double contamination ont donc été touchées plus sévèrement. CQFD !
Source : futura-sciences