CHANGEMENT CLIMATIQUE : Comment l’anticiper ?
Les impacts du changement climatique se lisent déjà dans le paysage français. Les agriculteurs s’y adaptent mais avec des problématiques économiques ou techniques comme éléments déclencheurs des évolutions sur leur exploitation.
« Canicule, pluies intenses, gelées tardives, etc. se produiront très fréquemment », alerte Jean-Christophe Moreau, chef de projet systèmes fourragers à l’Idele. (©Fotolia)
« Lors des réunions de terrain, pas un agriculteur ne met en doute le changement climatique, relève Jean-Christophe Moreau, chef de projet systèmes fourragers à l’Institut de l’élevage (Idele). Tous constatent des évolutions dans leur environnement avec des sécheresses plus fréquentes ou une mise à l’herbe plus précoce ». À la demande de l’interprofession laitière, Jean-Christophe Moreau travaille sur le programme Climalait, en lien avec d’autres organismes de recherche. Cette étude, commencée il y a trois ans et dont les premiers résultats sortiront dans quelques mois, a pour objectif de trouver des adaptations techniques à mettre en œuvre dans les élevages face au réchauffement climatique.
« Globalement, les systèmes de polyculture-élevage sont plus résilients face au changement climatique que les exploitations spécialisées. Davantage de solutions sont à leur disposition pour s’adapter », observe le chef de projet. Ce dernier évoque l’implantation de sorgho à la place du maïs fourrager dans les zones séchantes, les cultures de dérobées d’hiver et d’automne, l’introduction de méteil. « La plupart des gens ont déjà pensé à ces évolutions », souligne-t-il, le contexte économique difficile en élevage entraînant une remise en question des systèmes. « Un des leviers de sécurisation est effectivement d’acheter, notamment des fourrages, si les kilomètres ne coûtent pas trop cher. »
+ 1,4 °C : c’est la hausse de la température moyenne en France depuis l’ère pré-industrielle (début du 19e siècle). Sur le plan mondial, elle s’élève à + 1 °C. Le réchauffement est donc plus important dans notre pays qu’en moyenne sur la planète.
Jean-François Soussana, vice-président de l’Inra et membre du groupe intergouvernemental d’experts sur le climat (Giec), se souvient encore de la sécheresse de 2003 : « Il a fallu importer en Suisse des fourrages en provenance d’Ukraine ! » Aussi Jean-Christophe Moreau soulève une question cruciale, celle du stock de sécurité : « Celui-ci varie en fonction de chacun et il est très difficile de l’estimer précisément. Pour certains, c’est un mois, pour d’autres deux. Aucun travail n’a été mené pour évaluer ce stock, qui a pourtant un réel coût ! »
« Globalement, les systèmes de polyculture-élevage sont plus résilients face au changement climatique que les exploitations spécialisées », observe Jean-Christophe Moreau, chef de projets systèmes fourragers à l’Idele. (©Watier visuel)
Vers des événements climatiques extrêmes
Du côté des cultures, « les rendements en blé ont chuté de 30 % en 2016 », note Jean-François Soussana. À l’origine de cette diminution : des conditions hivernales très humides avec un faible rayonnement, des gelées au moment de la floraison, le développement de maladies fongiques difficiles à traiter, la portance des sols étant insuffisante pour entrer dans les parcelles et enfin un été sec. « Il ne s’agit pas d’un événement unique mais d’une conjonction de facteurs », précise-t-il. C’est là la particularité des effets du changement climatique. « Canicules, pluies intenses, gelées tardives, etc. se produiront plus fréquemment », alerte Jean-Christophe Moreau. « Autant de conditions extrêmes qui tombent à des périodes sensibles » dans les productions, confirme le vice-président de l’Inra.
Toutefois, le changement climatique ne se traduit pas uniquement par des épisodes climatiques spectaculaires. Frédéric Levrault, expert “agriculture et changement climatique” pour le réseau des Chambres d’agriculture, explique que les sols souffrent aussi. « Leur taux d’humidité diminue et ils s’assèchent. » Un constat partagé par l’ensemble des instituts de recherche, comme la hausse de la température de la quasi-totalité des cours d’eau français.
Pour Jean-Marie Séronie, économiste indépendant, le grand risque de la future réforme de la politique agricole commune est une « renationalisation extrêmement forte » des mesures européennes. Plusieurs pays ont utilisé le système assurantiel proposé par la Pac, mais « cela ne marche pas très bien pour plusieurs raisons ». Les assureurs estiment qu’il n’est pas assez rentable et les agriculteurs trouvent les assurances trop chères. « Psychologiquement, les gens ont l’impression de payer à perte ! », complète-t-il. Et la Commission européenne est peu favorable au dispositif assurantiel en raison « des coûts d’intermédiation » que peuvent développer les assureurs. Pour autant, « un système de gestion des risques communautaires serait beaucoup plus efficace » qu’un dispositif renationalisé, notamment face au changement climatique.
Les sols, clés de voute de la production
Julien Demenois, correspondant au Cirad de l’initiative “4 pour 1 000”, lancée par Stéphane Le Foll en 2015, s’inquiète de la minéralisation, accélérée par l’augmentation de la température, de la matière organique des sols. « Il y a deux à trois fois plus de carbone dans la terre que dans l’atmosphère », insiste-t-il. La minéralisation favorise donc le processus de réchauffement, en libérant des gaz à effet de serre.
De plus, « la baisse de la matière organique dans les sols diminuent leur fertilité, leur capacité à absorber l’eau et les rend plus sensibles à l’érosion. Il va falloir trouver comment compenser cette perte via, par exemple, l’évolution de certaines pratiques et le retour aux grands principes de l’agronomie », parmi lesquels la plantation de haies, l’agroforesterie, la réduction du labour ou du retournement de prairies, les couverts végétaux permanents comportant des plantes fixatrices d’azote (légumineuses).
Ici encore, « il y a une plus forte résilience des sols, là où la diversité d’espèces est la plus forte », ajoute le spécialiste, évoquant la complémentarité entre les racines des arbres, plus profondes, qui ramènent des éléments nutritifs en surface, et celles de la strate herbacée, plus petites. « Sur le terrain, c’est parfois plus compliqué car il y a des phénomènes de concurrence entre plantes. »
– Dès 18 à 20°C, les performances des animaux diminuent.
Vrai. Des travaux scientifiques de 2011 montrent que la croissance (gain moyen quotidien) des porcs baisse dès que la température atteint 18°C dans les bâtiments. Chez les vaches, la production laitière chute à partir de 21°C dans la stabulation, selon une autre étude.
– Le non-labour est la seule méthode pour limiter le déstockage du carbone dans les sols.
Faux. Cette pratique doit être associée à une rotation des cultures et à une couverture permanente du sol pour optimiser ses capacités de stockage de carbone. Seule, elle a une action limitée, d’autant que le type de sol influence également la rétention du carbone.
Les systèmes de production s’adaptent déjà
À la veille de l’ouverture de la Cop 24, en décembre prochain, la question des sols unit tout de même près de 43 pays au sein du programme “4 pour 1000”, qui s’est internationalisé depuis son lancement, comme le rappelle Paul Luu, son secrétaire exécutif. L’objectif est, entre autres, de réunir autour de cette problématique des chercheurs, des bailleurs de fonds et des responsables agricoles, ceci afin « d’identifier, de référencer et d’évaluer les bonnes pratiques agricoles, tout en réfléchissant à ce qui peut être fait en termes d’environnement pour les encourager : politique en général, Pac… ».
Question référencement justement, le réseau des Chambres d’agricultures n’est pas en reste, comme en témoigne Frédéric Levrault : « Il existe un panel de solutions plus ou moins bien rangées, plus ou moins lisibles et plus ou moins révolutionnaires. » Ainsi, pour le maïs, il préconise de semer plus tôt, d’irriguer au goutte à goutte plutôt que par aspersion, de choisir des variétés plus précoces et à cycle plus court, voire d’arrêter la culture et de passer au sorgho. Pour la vigne, il propose de « réduire la surface foliaire, utiliser le goutte à goutte, voire se tourner vers d’autres cépages ».
« Le climat va encore continuer à se réchauffer jusqu’à la moitié du 21e siècle », selon Frédéric Levrault, expert agriculture et changement climatique pour le réseau des Chambres d’agriculture. (©Watier visuel)
Modifier son système doit rester rentable
« Les agriculteurs sont motivés et en même temps réticents. Adapter leur système demande des investissements qu’ils ne sont pas sûrs de pouvoir supporter financièrement sur le long terme », reconnaît Frédéric Levrault. « Changer de mode de production tous les quatre matins n’est pas ce que préfère un chef d’entreprise, surtout s’il n’y a pas de retour économique ! », fait-il remarquer. Et pourtant, « le changement climatique est inéluctable » car « le climat va encore continuer à se réchauffer jusqu’à la moitié du 21e siècle » avant que les éventuelles mesures prises par l’homme pour ralentir le phénomène ne fassent effet. « Les exploitants agricoles doivent en avoir conscience et être dans une logique d’anticipation, non de rattrapage ! Le monde agricole n’a pas pour habitude de fermer les yeux. C’est une profession avec laquelle il est possible de relever ce défi ! »
Reste que pour lui, celui-ci réside essentiellement dans l’accompagnement des agriculteurs et le conseil. En effet, transformer son système d’exploitation peut se révéler pertinent sur du long terme mais inadéquat sur du très court terme. C’est pourquoi les conseillers ont parfois du mal à justifier les modifications. « Il y a des risques, des coûts, des bénéfices qui doivent être appréciés par le producteur. Le réel défi sera de ne rater aucune opportunité car si nous ne nous occupons pas du changement climatique, c’est lui qui s’occupera de nous ! »
Source : terre-net