CÉRÉALES
DÉCALER LA DATE DE SEMIS DANS LES PARCELLES LES PLUS SALES
Lever la nuisibilité des mauvaises herbes dans une culture, c’est s’assurer qu’elles sont totalement contrôlées du début à la fin de la campagne. Un moyen efficace pour améliorer l’efficacité des herbicides appliqués : diminuer le nombre d’adventices qui lèveront dans la culture. Parmi les leviers agronomiques efficaces, il y a le décalage de la date de semis, généralement mis en œuvre avec un faux-semis.
Retarder la date de semis, c’est aussi réduire le risque d’infestation par des pucerons et cicadelles à l’automne ainsi que de limiter la contamination de la céréale par le piétin-verse et le piétin-échaudage.
Un semis décalé permet de limiter la densité de graminées adventices levées telles que vulpins et ray-grass
Le principe du décalage de la date de semis est de reporter l’implantation de la culture par rapport aux premières levées d’adventices problématiques. Cette technique présente un intérêt sur les adventices germant couramment aux périodes d’implantation des cultures. C’est pour le cas du vulpin, du ray-grass ou encore du brome, mais pas pour les dicotylédones dans les céréales d’hiver.
Déjà, il y a plus de 10 ans, des expérimentations régionales montraient l’intérêt de retarder le semis du blé pour limiter la levée des vulpins :
– En 2006, à Poyans (proche de Gray -70) par INTERVAL : en technique culturales simplifiées (TCS), un semis du 20/10 réduit la population de 47 % par rapport à un semis du 30/09.
– En 2008, à Diénay (proche d’Is / Tille -21) par ARVALIS : en TCS, un semis du 16/10 réduit la population de 69 % par rapport à un semis du 02/10.
Figure 1 : Effet de la date de semis sur vulpins – Diénay (21) – 2007/2008
Depuis, d’autres expérimentations ont été réalisées, en particulier au cours des trois dernières années. Sur la base de semis réalisés début octobre :
– un décalage de 15 à 20 jours en octobre apporte en moyenne 60 % de réduction des populations de vulpins (de 40 à 90 %) et 50 % en ray-grass,
– un décalage de 20 à 30 jours en fin octobre – début novembre apporte en moyenne 80 % d’efficacité en vulpins (70 à 90 %) et 90 % en ray-grass,
– un décalage plus tardif permet de réduire de plus de 95 % les populations de graminées adventices.
Quel impact sur le rendement ?
Il faut bien évaluer le bénéfice par rapport au risque de ce décalage. En effet, cette technique peut présenter des inconvénients, et donc, engendrer des réticences :
– Des conditions d’implantations plus difficiles. Cette raison est tout à fait recevable car le choix de ce levier est conditionné par le contexte pédoclimatique de chaque parcelle et du matériel disponible.
– Une diminution de potentiel de rendement. En parcelle propre ou pas trop infestée par les graminées adventices, c’est plutôt vrai, d’autant plus en orges d’hiver qu’en blé, sous réserve de contrôler facilement et parfaitement les adventices dans le semis précoce. Mais en parcelle sale ?
Rien de moins sûr que le rendement du semis décalé soit inférieur à celui du semis précoce dans les parcelles fortement infestées. En effet, en semis précoce, dans ces situations, le contrôle des vulpins et ray-grass devient aléatoire, voire régulièrement insuffisant. En conséquence, le rendement de ce semis précoce, ainsi que la marge brute avec des charges d’intrants généralement plus élevées, est affecté par rapport à celui du semis décalé. Pour ce dernier, la nuisibilité des adventices, moins nombreuses, peut être levée plus facilement… avec des économies d’herbicides possibles à la clé !
PREMIÈRE ILLUSTRATION AVEC UN ESSAI RÉALISÉ À MARANDEUIL (21)
Tableau 1 : Conditions d’un essai ARVALIS réalisé en 2018 à Marandeuil (limons battants de la Plaine de Dijon – 21) avec la variété Syllon
Le rendement est le même qu’on ait semé le 28/09 ou le 16/10. Mais le potentiel de rendement n’est probablement pas atteint pour le semis précoce dans la mesure où les vulpins sont mal contrôlés avec le traitement de sortie hiver, avec seulement 65 % d’efficacité. Il faut noter que ce niveau d’efficacité est le même que celui engendré par le simple décalage du semis (passage de 80 à 30 vulpins/m²).
L’efficacité est un peu meilleure avec le programme de traitement mais il reste toujours de l’ordre de 30 vulpins/m², nuisibles au rendement du blé. Sur le semis réalisé 18 jours après, le potentiel est préservé ne serait-ce que par une intervention de sortie hiver déjà efficace à 90 %. L’efficacité du traitement de postlevée réalisée dans de bonnes conditions est du même niveau, avec l’avantage, d’une part, de lever la nuisibilité des vulpins plus tôt, et d’autre part, de régler le problème dans les situations de résistance avérées aux sulfonylurées.
SECONDE ILLUSTRATION AVEC UN ESSAI RÉALISÉ À ST AMBROIX
Figure 2 : Essai ARVALIS réalisé en 2018 à St Ambroix (argilo calcaire du Berry – 18) avec la variété Ascott
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Les conclusions sont les mêmes. De plus, une date de semis tardive de début novembre pour laquelle l’efficacité des herbicides est excellente sur seulement 10 vulpins/m². En revanche, le rendement commence à s’effriter par rapport à celui enregistré sur des parcelles bien désherbées de la date de semis du 19/10.
Automne 2018 : des conditions qui doivent encourager les semis décalés
A ce jour, la sécheresse sévère enregistrée dans la région n’a pas encore permis de réaliser de faux-semis ou s’ils ont été réalisés, ils ne sont pas levés. Hormis quelques orages imprévisibles, aucune précipitation généralisée n’est annoncée sur la semaine à venir.
Pour être efficace, un faux-semis doit voir se développer les graminées adventices (et les repousses de blé avant une orge d’hiver) sur une durée d’au moins 3 semaines. Donc, de manière peut-être un peu abrupte, cela signifie que les semis précoces sont à exclure cet automne dans les parcelles historiquement fortement infestées en vulpins et ray-grass.
Ignorer cette recommandation, donc semer tôt dans des parcelles reconnues sales, c’est prendre un risque majeur de voir lever ces adventices en masse, en même temps que la céréale.
La date de semis décalée : ce qu’il faut retenirRéserver la technique aux parcelles les plus historiquement infestées en en vulpins et/ou ray-grass, en particulier en rotation de cultures d’hiver. Donc, il ne s’agit pas de généraliser cette pratique.
Attendre le 10-15/10 sur les plateaux et 15-20/10 en plaines et vallées. Spécifiquement pour les orges d’hiver, ne pas aller au-delà du 20-25/10. Augmenter la densité de semis de 10 % par rapport à celle d’un semis plus précoce.
Du côté des blés, choisir une variété précoce à montaison comme à épiaison. Le choix est large dès lors qu’on aura laissé de côté des variétés comme Boregar, Fructidor, Chevignon, KWS Extase, Complice, Lipari, Pastoral, RGT Velasko…
Avoir autant d’attention que sur un semis plus précoce : désherber dès l’automne sur un sol frais avec généralement un résultat très satisfaisant, assurer un suivi des limaces qui peuvent être plus fréquentes, des ravageurs d’automne qui ne sont jamais à exclure totalement…
Expérimenter la technique : implanter des bandes avec 2 dates de semis, laisser un témoin non traité…