Le patrimoine génétique des graines de l’agriculture est-il menacé ?
Les besoins de l’agriculture intensive a réduit de 75% la variété des cultures. Mais des “banques de graines” conservent les variétés disparues des champs.
C’est vrai qu’avec l’agriculture industrielle, la diversité des plantes cultivées s’est réduite comme peau de chagrin. Partout sur la planète, quelques dizaines de variétés végétales, particulièrement productives, sont en train de pousser… vers la sortie et même l’extinction quantité de plantes que l’humanité a fait surgir au fil de son histoire agricole.
Un chiffre ? Depuis un siècle, 75 % d’entre elles ont disparu, selon les estimations de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Aujourd’hui, 103 variétés représentent 90 % des cultures alimentaires mondiales ! Riz, blé et maïs produisent à eux seuls 60 % des calories consommées, alors qu’une dizaine de milliers de végétaux ont été cultivés depuis la naissance de l’agriculture.
Le cas des haricots est ici typique : en 1903, il en poussait dans les fermes d’Amérique du Nord 578 sortes ; quatre-vingts ans plus tard, ce chiffre était tombé à 32. En clair, l’agriculture mondiale souffre d’un mal nommé uniformisation.
La faute à “la révolution verte” des années 50 qui, en introduisant massivement des espèces végétales (parfois hybrides) à haut rendement, plus résistantes aux aléas climatiques, plus normées esthétiquement et à croissance rapide, a induit la disparition progressive des plantes ne correspondant pas à ces critères.
“Fort knox” de la diversité
Or, les agronomes savent depuis longtemps que cette diversité végétale est un capital. C’est pourquoi depuis plus d’un siècle, ils ont pris leurs précautions en créant les premières banques où stocker des graines (à des températures inférieures à -10 °C et dans des conditions de faible humidité).
L’objectif premier était de mettre ce patrimoine à la disposition des améliorateurs de semences ; mais depuis les années 60, il s’agit également de sauver des variétés menacées de disparition. A ce jour, quelque 1 750 de ces banques réparties dans le monde entier conservent environ 6,6 millions d’échantillons ; soit, du fait des redondances, sensiblement plus d’un million de variétés distinctes.
En 2001, cependant, 130 pays signaient sous l’égide de l’ONU un traité international sur les ressources génétiques pour l’alimentation et l’agriculture. De ce traité naquit le GCDT (Global Crop Diversity Trust) avec, à sa tête, la Norvégienne Marie Haga. A la clé : édifier une véritable “arche de Noé” de la diversité végétale, afin d’y préserver ce patrimoine agricole de l’humanité.
Spitzberg : un frigo à graines
Ainsi, en 2008, a vu le jour un immense grenier secret, ou plutôt un vrai frigo, niché au Spitzberg, principale île de l’archipel du Svalbard (Norvège), situé au nord-est du Groenland. Pourquoi là ? Parce que l’endroit est l’un des plus froids de la planète et qu’avec 200 mm de précipitations par an – moins qu’au Sahel ! -, il s’agit aussi d’un désert aride.
Ainsi, même en cas de défaillance du système électrique, la chambre forte, maintenue à -18 °C par un compresseur d’à peine 10 kW, pourrait conserver les graines durant des mois, voire des années. Sachant qu’une panne électrique dans n’importe quelle banque de semences peut conduire à la perte des collections en seulement quelques jours.
Qui plus est, le Spitzberg est à la fois à l’abri des catastrophes naturelles (la zone est sismiquement calme) et relativement protégé des troubles politiques : la zone est démilitarisée par un traité international et appartient à la très stable Norvège. Et quoique reculée, Longyearbyen (la ville la plus proche) reste accessible. L’entrée de “l’arche” a même été surélevée, en cas de forte montée des eaux.
865 000 graines scellées dans de petits sacs argentés !
Autant dire que la sauvegarde de la biodiversité agricole est a priori assurée, ce qui promet à ceux qui en auront besoin de pouvoir se ravitailler. Car il s’agit d’abord de cela : le lieu fonctionne comme une caisse des dépôts où ceux qui lui confient des graines peuvent venir faire un retrait. Elle ne vise pas à se substituer au réseau mondial des banques de semences.
C’est donc là, sous une montagne englacée, que s’accumule le trésor qui pourrait un jour sauver l’agriculture mondiale. Un trésor riche de 865 000 graines (40 % de la diversité génétique végétale mondiale) de toutes tailles et de toutes origines, scellées dans de petits sacs argentés !
On y trouve aussi bien des poids lourds de l’agriculture (maïs, riz…) que des plantes plus rares (acacias africains, aubergines sud-américaines…). En août 2015, une délégation du Pérou et du Costa Rica a par exemple confié des graines d’une espèce de pomme de terre. A terme, toutes les variétés de plantes cultivées et quelques espèces sauvages devraient entrer dans cette bibliothèque de semences, prévue sans limite d’âge !
Le problème des fruits et légumes
Ces sachets scellés s’empilent au fond d’une grotte. Ou plutôt, d’une sorte de blockhaus à trois chambres, creusé en 2007 au bout d’un couloir long de 120 mètres. Dans cet improbable Fort Knox arctique, pas de salarié permanent sur le site, pas même pour la surveillance.
Les portes ne s’ouvrent que lors des arrivages et des opérations de maintenance. En compilant toutes ces “variétés”, ce sanctuaire fait office de copie de sauvegarde qui, en cas de “plantage” d’une banque, pourra relancer le système et donc les cultures.
Pour la première fois en novembre 2015, cette fonction a été activée. Après la destruction de la banque de graines d’Alep, en Syrie, le Centre international de recherche agricole dans les zones arides (Icarda) a demandé au Svalbard de récupérer les graines qu’il lui avait confiées pour les replanter au Maroc et au Liban et, de cette façon, reconstituer les stocks.
Une conservation problématique pour certaines semences
Pour autant, cette solution n’est pas la panacée. Certaines variétés végétales sont très délicates à conserver. Si les semences céréalières contiennent naturellement peu d’eau et supportent bien la dessiccation et la congélation, les graines d’autres plantes ne gardent leurs capacités germinatives que quelques décennies, parfois moins : c’est le cas de nombreux légumes et arbres fruitiers.
Quant aux espèces tropicales humides, elles sont souvent dépourvues des mécanismes de vie ralentie permettant la conservation longue. Idem pour les tubercules, tels la pomme de terre, l’igname, le taro, dont les graines, trop fragiles, interdisent un entreposage durable.
Au final, 10 % des plantes cultivées posent problème. On fait alors appel à des techniques comme la cryoconservation de fragments de tissu ou le maintien de collections de plantes vivantes dans les conservatoires. Pour freiner la régression de la biodiversité agricole, outre le stockage des graines, on peut multiplier des collections in situ , réserver des espaces pour la culture des variétés rares, soutenir les paysans qui les choisissent.
Des plantes régulièrement récoltées, sélectionnées puis remises en culture seront toujours plus résistantes et dynamiques que des échantillons entreposés durant des décennies. Même si, avec cette “arche”, l’humanité espère ne jamais être prise au dépourvu.
D’après Science & Vie QR n°25 « Les plantes, leurs secrets & leurs vertus »