EFFICACITÉ DES TRAITEMENTS
« Les pesticides ne fabriquent pas les résistances, ils les sélectionnent »
La recherche scientifique permet de mieux connaître les risques d’apparition de résistance chez les ravageurs. Pour s’en prémunir, la façon d’utiliser les produits phytosanitaires doit changer.
« Les individus résistants sont issus de mutations naturelles survenant dans les génomes de tous les êtres vivants. Ce ne sont pas les produits phytosanitaires qui fabriquent les résistances chez les bioagresseurs ; en revanche, ils les sélectionnent. » Chercheuse à l’Inra impliquée dans le réseau R4P (Réseau de réflexion et de recherches sur les résistances aux pesticides), Anne-Sophie Walker a donné une passionnante leçon de darwinisme à l’occasion du colloque sur la surveillance biologique du territoire le 7 décembre à Angers. D’après elle, la résistance des bioagresseurs existe dans les parcelles cultivées avant même l’utilisation des pesticides. La fréquence naturelle peut varier selon les cas d’un individu sur 10 000, à un individu sur 100 millions.
Cette « résistance biologique » de quelques individus ne se traduit pas forcément par une « résistance en pratique », à savoir une perte d’efficacité au champ des produits phytosanitaires. Enfin, pas tout de suite. L’érosion de l’efficacité va s’observer en fonction de l’évolution de la fréquence des individus résistants, et de leur niveau de résistance. « Dans le cas des strobilurines par exemple, un niveau de résistance élevé était associé à une progression rapide du nombre d’individus concernés dans les populations. Mais les mécanismes de la résistance sont variés et progressent plus ou moins rapidement. »
Rendre la lutte imprévisible
Le caractère spontané des résistances ne dédouane pas pour autant les applications phytosanitaires de leurs responsabilités ! « Quand on traite, on applique une sélection, y compris avec des produits naturels, explique Anne-Sophie Walker. En utilisant le même produit plusieurs fois de suite, les individus résistants sont favorisés via leur descendance et leur proportion augmente au détriment des individus sensibles. C’est juste une question de temps. » Cette évolution de la fréquence des individus résistants va se faire plus ou moins rapidement en fonction du mécanisme de résistance en jeu, et cela est difficilement prévisible à l’avance. Ainsi, le processus est plus rapide pour une résistance unisite (la résistance aux triazoles par exemple) que pour une résistance multisites. La résistance peut aussi évoluer lentement, voire régresser, si elle coûte au bioagresseur, le rendant ainsi moins compétitif.
Pour ralentir l’apparition des résistances, il est important de diversifier les traitements chimiques, et plus largement, de diversifier les méthodes de lutte au-delà des pesticides (choix de variétés, rotation des cultures, prophylaxie, biocontrôle). « En fait, il faut rendre la lutte imprévisible pour le bioagresseur » résume Anne-Sophie Walker. A propos des mélanges de produits utilisés notamment en grandes cultures, « pourquoi pas, à condition que les molécules associées aient des modes d’action différents afin de se protéger mutuellement contre la sélection des individus résistants. »
Selon la chercheuse, il faut aussi se donner les moyens de détecter le plus tôt possible l’apparition des résistances, et surtout, « avoir une vision à long terme quand une nouvelle molécule est mise sur le marché, en évitant de consumer son mode d’action en quelques années, quitte à perdre un peu. »
Source : Terre-net