Aviculture traditionnelle dans la province d’Ifrane
Dr Abdelkrim Aidi
Au moyen Atlas Marocain, zone connue par l’altitude et le grand froid, le rendement de l’agriculture ne satisfait pas aux besoins et demandes des familles. Pour équilibrer leurs budgets, les habitants pratiquent les métiers d’élevages. L’élevage dominant dans la région d’Ifrane est celui des ovins, suivi par les caprins et les bovins. Parallèlement, les habitants pratiquent l’aviculture de façon traditionnelle, mais qui s’est développée chez certains agriculteurs qui ont adopté les pratiques modernes de l’élevage avicole. L’effectif des oiseaux dans la province d’Ifrane est estime à 265.000 poulets, 90.900 dindes, 7.500 faisans et 800 oies.
Lieu d’étude :
La zone sur laquelle a porté l’étude couvre la vallée de Tigrigra, la vallée d’Adarouche, les collines de Tamra et Tabadoute dans le cercle d’Azrou. Les agriculteurs de cette zone pratiquent, en activité principale, l’élevage ovin et caprin et la semence de graines destinées à l’alimentation animale (orge – avoine – blé tendre – blé dur – fèves – triticale), ainsi que la production d’herbe dans les terrains incultes qui servent à l’alimentation des ruminants et des équidés.
Les fermes concernées :
L’étude a porté sur 258 fermes de la zone d’étude durant les mois de mai, juin et juillet 2013. Au cours de nos visites auprès des éleveurs, il s’est avéré que l’élevage avicole est un élevage domestique qui suit l’évolution des oiseaux (ponte – mortalité – ventes – alimentation), aussi ce type d’élevage est pratiqué dans la majorité des cas par les femmes, et son rendement sert à la satisfaction des de besoin personnels de la famille.
19% des fermes, objet de notre étude ne possèdent aucun oiseau domestique (situation qui, pour certains, reste sans explication et pour les autres serait due à la mortalité totale des sujets). 84% des fermes possèdent différentes espèces d’oiseaux, poulets, dindes, faisans, oies. Le nombre d’oiseaux concernés par l’étude est : 5.118 poulets, 1.546 dindes et 105 oies réparties sur 208 foyers.
Mode d’élevage :
Ces oiseaux sont élevés à l’air libre dans la ferme. Ils passent la journée à la recherche de l’alimentation et de l’eau dans les champs de l’éleveur. Ils retournent à midi ou le soir, selon les conditions climatiques, pour s’abriter de la chaleur ou des vents violents et en même temps pour pondre dans des nids préparés par le fermier dans des enclos près de la maison. Parfois les oiseaux pondent dans des trous dans les champs loin de la maison.
La taille du groupe varie d’une ferme à l’autre et d’une espèce à l’autre. L’effectif moyen des groupes est de 25 têtes pour les poulets, 8 têtes pour les dindes et de 1 à 2 têtes pour les faisans et les oies.
Composition des groupes :
Espèce | Reproductrice | Pondeuses | Reproducteurs | Poussins |
Poulets | 10% | 48% | 10% | 32% |
Dindes | 10% | 38% | 12% | 40% |
Faisans | 10% | 36% | 34% | 20% |
Oies | 10% | 25% | 25% | 40% |
Reproduction :
Les poulets se reproduisent toute l’année. Les poules pondent généralement entre 160 et 220 œufs par an. La fréquence des pontes diffère d’une saison à une autre, selon le type d’alimentation et l’état sanitaire des oiseaux. Chez les autres oiseaux, le cycle de reproduction est saisonnier. La ponte est plutôt fréquente durant les saisons chaudes : printemps et été. La ponte varie entre 20 et 70 œufs par an.
La présence de mâles dans le groupe est nécessaire pour la fécondation des femelles au cours des pondaisons. La durée de couvaison varie d’une espèce à l’autre. Les poulets couvent leurs œufs en 22 jours, les autres espèces entre 28 et 30 jours.
Éclosion :
Passé le délai suffisant pour la couvaison, les poussins éclosent. Si la coquille ne se casse pas, la mère pique l’œuf et forme un trou afin d’aider le poussin à sortir. Si l’œuf est détérioré, chose qui peut arriver suite à de multiples causes, le poussin meurt dans l’œuf par asphyxie, microbes, chaleur, disette nutritionnelle, …
Les poules peuvent couver les œufs des autres poules et même ceux des autres espèces. Cette méthode est utilisée par les femmes pour donner le temps à la dinde de produire plus d’œufs ou pour favoriser leur engraissement.
Alimentation :
L’alimentation des oiseaux de la ferme est spontanée dans l’air libre. Les animaux cherchent la nourriture dans les champs où ils sont élevés. Ils mangent les grains de blé, orge, avoine, triticale laissées après la moisson, pendant la période d’été. En automne et en hiver des apports supplémentaires sont nécessaires. Les propriétaires donnent généralement du maïs, fève, avoine, blé, orge, son, et les restes de pain de la maison. Ceci complète la nourriture spontanée formée de feuilles, herbes, insectes et verres de terre. Si la nourriture est disponible en quantité suffisante et en qualité, la production sera meilleure en œufs, viande et plumes.
Problèmes majeurs :
Hygiène et maladies :
L’hygiène dans l’aviculture de la ferme est totalement absente. Les oiseaux sont dispersés dans la nature, le soir ils rejoignent la ferme pour passer la nuit dans des enclos très mal nettoyés. Les déchets et saletés se cumulent d’année en année, ce qui influence négativement l’état de santé des oiseaux.
Au cours de notre étude, nous avons observé des groupes atteints de maladies qui occasionnent d’énormes pertes dans ce type d’élevage. La mortalité atteint 60% à 70% chez les poussins et 40% à 50% chez les adultes. En outre, c’est une perte énorme dans la production d’œufs et de viande.
Les maladies observées durant les visites :
Durant l’étude, nous avons constaté l’existence de quelques maladies contagieuses qui nécessitent la vaccination préventive. D’autres maladies nécessitent des traitements curatifs. Parmi les maladies observées, il y a des maladies respiratoires, bronchite infectieuse, laryngotrachéite, variole aviaire, choléra aviaire, salmonellose et coccidiose.
D’autres causes de mortalité et pertes sont rattachées aux facteurs externes : les renards, les aigles, les serpents, les rats et les chiens qui détruisent les œufs et dévorent les poussins incapables de fuir devant les dangers. Les pertes sont évaluées à presque 50% dans la population des poussins et 30% des œufs. Il est donc nécessaire de lutter contre ces ennemis.
Le froid est également un grand ennemi de ces oiseaux, et cause des pertes considérables. Les couvons d’hiver n’arrivent pas à supporter les températures très basses. Pour les sauvegarder, les femmes mènent les poussins dans leurs chambres.
Production :
La production des œufs est maximale au printemps et en été, faible en automne et en hiver. Les poules pondeuses produisent 22 à 26 œufs par mois pendant les périodes chaudes et entre 12 à 20 œufs en périodes de froid. La poule couve entre 12 et 18 œufs selon sa taille. La taille est importante car elle permet la couverture de l’ensemble des œufs pendant la couvaison et aussi la conservation de la chaleur nécessaire jusqu’au moment de l’éclosion. La taille de l’animal est importante aussi pour abriter les poussins surtout pendant les deux premières semaines de leur vie et avant de pouvoir suivre la mère en dehors du nid. A noter que la mère poule peut être poursuivie par des petits d’oiseaux d’espèces différentes (dindes, faisans, oies).
La production des œufs dans la province d’Ifrane est estimée à 31.000.000 d’œufs par an, soit un poids total de 22.000.000 kg de matière nutritive. L’élevage des oiseaux au niveau de la province permet aussi de produire 800.000 kg de viande et 44.000 kg de plumes. Cette production est estimée à 70.000.000 dh pour les œufs, 30.000.000 dh pour la viande et 220.000 dh pour les plumes. Soit un total de plus de 100.000.000 dh par an. Cette activité rapporte donc à peu près 10.000 dh/an pour chaque foyer éleveur d’oiseaux au niveau de la province d’Ifrane. Ce gain est considérable en comparaison avec le faible rendement de l’agriculture de cette région.
Commercialisation de la production avicole :
30% de la production locale en œufs et viande avicole sert à l’autoconsommation, alors que le surplus soit 70% de la production totale, est commercialisé principalement au niveau des souks locaux. Les animaux vivant sont vendus pendant les fêtes religieuses : Achoura, Lailat El Kadr, Fadilas, Aid Seghir (Fitr) et Noël (pour les gens qui célèbrent cette occasion surtout les habitants des grandes villes).
Cette production est très prisée par le consommateur. Le goût de la viande des oiseaux de la ferme est très sollicité car les oiseaux sont élevés avec des produits naturels (pas de produits pharmaceutiques, chimiques et industrialisés). De plus, leur viande a un taux faible en cholestérol et acides gras. Ces caractéristiques spéciales de ces œufs et cette viande produits biologiquement attirent les consommateurs.
Recommandations :
Pour améliorer l’élevage avicole de la ferme et augmenter le rendement des petit agriculteurs de la région, nous recommandons certaines mesures afin d’éviter les dégâts et limiter la mortalité des oiseaux :
- Formation de coopératives féminines pour ce type d’élevage.
- Vulgarisation de la conduite d’élevage avicole à la ferme en intensif.
- L’état doit surveiller et lutter contre les maladies contagieuses des volailles et autres espèces domestiques.
- Prévention et protection des œufs et des poussins contre les attaques des animaux sauvages.
- Recommandation de programmes d’hygiène des abris pour ces oiseaux domestiques.
- Veiller à assurer une alimentation suffisante et de qualité durant toute l’année.
- Inciter les foyers à pratiquer ce type d’élevage en leur offrant des oiseaux gratuitement pour démarrer l’élevage avicole traditionnel.
- Ramasser les excréments pour les utiliser comme fertilisants des terrains agricoles (ils sont riche en minéraux et vitamines).
L’élevage avicole fermier est un moyen de production d’œufs et de viande biologiquement. C’est aussi une source de revenu facile qui permet d’équilibrer les budgets des familles pratiquant l’agriculture surtout au niveau des régions à faible rendement agricole telle que celle d’Ifrane.