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Pomme de terre : Sauvons l’export

Pomme de terre

Sauvons l’export

Abdelmoumen Guennouni

 

Après avoir plafonné autour de 80.000 t au début des années 1970 et connu une baisse régulière pendant une décennie, l’exportation de pomme de terre de primeur a repris et connu, avec des hauts et des bas, des pics entre 100 et 125 mille tonnes au début des années 1990. Depuis, cette activité a connu une chute libre pour atteindre au cours des dernières années, des niveaux plus que dérisoires (10.000 t en 2009).

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En effet, même si les superficies ont relativement peu évolué en passant de 15-30.000 ha au cours des années 1960-70 à 50-60.000 depuis 1988 (x 2 à 3), la production marocaine a suivi une tendance haussière accentuée passant d’une moyenne de 20.000 t/an (années 1960) à 1,6 Million de tonnes en 2010 (x 8). Cette augmentation est due en grande partie à une meilleure maitrise de la conduite de la pomme de terre, culture spéculative par excellence, puisque le rendement par hectare de 8-10 t/ha (années 1960) a été multiplié par un coefficient entre 3 et 4 et est passé à 20-30 t/ha. Cependant, sur cette production les exportations, au cours de la dernière décennie n’ont pas dépassé une moyenne de 2,6% (contre un pic de 12% en 1991).

Comment expliquer ce déclin accéléré alors que toutes les conditions pour une bonne production au Maroc sont réunies et que l’exportation est loin d’approcher les quotas fixés par l’Union Européenne ? Ainsi, sur une vingtaine d’exportateurs pendant les années 1990, seuls 4 à 5 continuent à opérer dans le secteur.

Les professionnels pointent du doigt la faible rentabilité de l’opération export en comparaison avec d’autres fruits et légumes. Cette rentabilité insuffisante n’encourage pas des investissements qui pourraient améliorer le rendement et proposer une offre compétitive, mais pas seulement. Pour M. Aziz Bennani (Benaprim) : « Il y a deux facteurs qui expliquent la régressions des exportations de pommes de terre marocaines : 

– D’une part, les producteurs marocains ont raté le virage des certifications qualité, nécessaires si on veut accéder à la grande distribution et accompagner le changement de mode de commercialisation. Par le passé, l’exportateur de PDT confiait son produit à un commissionnaire qui s’occupait de sa distribution au prix du marché. A partir des années 90, la question de la sécurité alimentaire s’est posée en Europe et la distribution moderne promet au consommateur de la lui garantir. On impose alors des certifications Global Gap, HACCP, ISO, BRC… Le secteur de la PDT au Maroc pêche par la taille des exploitations. Etant petites, les producteurs n’ont pas les moyens de se lancer dans des certifications qui demandent un investissement important en ressources humaines. 

– D’autre part, et contrairement à l’Egypte, le Maroc n’a pas su diversifier son offre, ni passer à une production intensive lui permettant d’être compétitif, ni accompagner le produit par le service du pré-emballage. Le marché a évolué mais pas l’offre marocaine. A terme, l’origine Egypte finira par absorber la totalité des parts de marché du Maroc’’.

 

Manque de diversification

En plus, d’autres freins empêchent le développement de ces exportations. M. Hicham Bennani Hassan (Amhal Diffusion) déplore entre autres le manque de diversification. En effet, les marocains continuent à exporter la variété traditionnelle Nicola (plus de 90%) alors que le marché européen est demandeur de variété diversifiées et adaptées à différentes utilisation. Pourtant, 500 variétés de tous types sont inscrites au catalogue officiel marocain, mais nos producteurs rechignent à les cultiver. Il déplore aussi le système de commercialisation qui fait que l’exportateur est à la merci des commissionnaires. Par conséquent, aujourd’hui seuls certains importateurs de semences ont recours à l’export pour apurer leurs dossiers d’admission temporaire et contourner le paiement des droits de douane.

Par ailleurs, le conditionnement et les types d’emballage utilisés ne sont pas adaptés aux consommateurs des marchés importateurs, puisque la majeure partie des exportations se fait dans des big bags (contenance 1,2 tonne) qui handicapent la rentabilité de l’opération. M Hicham Bennani indique que les big bags sont l’emballage le plus adéquat pour l’export de PDT non lavée (à la demande du client). Ce dernier procèdera au reconditionnement sur place en station en petits emballages (1 ou 2,5 kgs) pour la vente en grande distribution. Son entreprise, qui les commercialise, a constaté la baisse de la vente des big bags, confirmant la baisse des exportations de PDT. Ainsi alors qu’Amhal écoulait les 6.000 unités qu’elle importait annuellement, aujourd’hui elle a écoulé la moitié en 4 ans dont une partie non utilisée chez ses clients.

Pour sa part, M. Aziz Bennani signale que les exportateurs utilisent de moins en moins de big bags à cause des pertes en poids qui en découlent. Le client déclare automatiquement des kg en moins après réception. Ce poids non valorisé, inévitable, est plus ou moins justifié. Après traitement du big bag, le réceptionnaire se trouve avec des écarts (tubercules blessés, germés, déformés, …) pouvant aller jusqu’à 150 kg par tonne exportée. Le prix de la pomme de terre en big bag étant très serré, les écarts absorbent souvent toute la marge.

 

Quel avenir pour l’export ?

Pour l’ensemble des opérateurs, la filière est plombée par rapport à ses concurrents (Egypte,…). Le secteur est plombé par le manque de visibilité pour les agriculteurs, conclue M. Hicham Bennani et au lieu du désengagement de l’état, le secteur a besoin de contrôle et de régulation du marché et de la mise en place d’une stratégie à long terme. Il s’agit de trouver des débouchés internes (industrie) ou externes (Afrique ou autres pays importateurs), de subventionner le stockage (frigos existants ou nouvelles installations), d’encourager et subventionner la certification et la traçabilité au moins chez les exportateurs et de trouver des solutions de commercialisation permettant de réduire l’influence des commissionnaires, ajoute-t-il.

  1. Aziz Bennani, pour sa part, estime que la pomme de terre marocaine est reconnue pour sa qualité supérieure. Il faudrait donc la valoriser en utilisant tous les outils et les moyens pour lui redonner la place qu’elle mérite. Entre autre mesures, il préconise de regrouper les petits producteurs en coopératives, mutualiser les moyens humains et techniques, remettre à niveau les stations de conditionnement qui pourront proposer des conditionnements adéquats, …

 

Export, import et marché local

Selon les données de la FAO, depuis les années 1960 jusqu’en 2000, les exportations ont toujours largement dépassé les importations. En effet, les importations se situaient dans une fourchette de 10 à 65.000 t avec une moyenne de 32.000 t et une valeur moyenne de 8 M$, alors que les exportations fluctuaient entre un minimum de 22.000 t (1982) et un pic dépassant 126.000 t (1991) et une moyenne de près de 102.000 t, d’une valeur moyenne de près de 16 Millions de $, soit le double. Depuis 2001, la tendance s’est inversée et les exportations ne suffisent plus à couvrir les importations (essentiellement des semences certifiées). Ainsi, entre 2001 et 2010, la moyenne des importations atteignait 43.000 t, dépassant de 14,3% les exportations, descendues au niveau moyen de 37.600 t. Plus grave, en termes de valeurs, les exportations (moyenne 20 M$) dépassent de plus de 40% la valeur des exportations (14 M$).

Au vu de ces résultats, tous les opérateurs s’accordent sur la nécessité de procéder au sauvetage de cette filière en pleine dégringolade. Par ailleurs, ces professionnels sont unanimes, on ne peut pas parler d’export sans aborder d’autres aspects concernant le marché local et les importations.

Un des aspects est l’existence d’une sorte de concurrence entre l’export et le marché local. En fait, Pour M. Aziz Bennani, il s’agit d’une concurrence dans les deux sens qui nuit aux deux canaux. Lorsque l’export démarre, les prix au marché local augmentent artificiellement, chose qui freine l’export …

Autre aspect primordial, l’importation des semences. A ce propos le ministère de l’agriculture indique que les exportations moyennes, en valeur (138 Mdh/an) ne permettent même pas de couvrir les sorties de devises engendrées par l’importation de semences (170 M dh/an), soit un taux de couverture de 80% environ.

Par ailleurs, les importateurs doivent s’acquitter de droit de douane de 25% jusqu’à 50.000 t et de 40% au-delà. Ces 50.000 t sont réparties entre importateurs (quotas) sur la base de la moyenne des tonnages importés au cours des 3 dernières années. Les importateurs expriment leur incompréhension du but de ces droits de douane que le Maroc est le seul pays à appliquer. Initialement, ces droits de douane devaient encourager et protéger une production embryonnaire de semences PDT au Maroc, mais cette tentative n’a pas marché et les droits de douane sont restés. Répercutés sur les agriculteurs, ces frais contribuent en partie à l’augmentation du prix des semences importées puisqu’on est passé de 4-5 dh/kg il y a quelques années à 10-15 dh la campagne précédente.

Cette année, les importateurs regroupés dans le cadre de l’AMSP, ont pris la décision de limiter les volumes à 33.000 t (-30%) pour limiter l’inflation des superficies plantées. Cependant, malgré cette baisse et les dégâts de gel, environ 10% des semences importées n’ont pas été écoulées et ont été détruites.

 

Semences et production

L’importation des semences se fait à l’aveuglette, martèle M. Hicham Bennani, et pour y remédier il est nécessaire de procéder à une étude du marché pour déterminer les véritables besoins du royaume en semences.

Par ailleurs, les ventes à crédit de semences et d’intrants favorisent l’extension des superficies plantées, provoquant la surproduction qui cause la chute des prix entrainant des impayés, … (cercle vicieux). En plus, l’opération Partenariat Public Privé (1re et 2ème tranches) a permis à certains de mettre en place des exploitations de centaines d’hectares de PDT (300-500 ha à Berkane) sans même se demander à quel marché ils destinent cette production (dépassement des capacités d’absorption du marché marocain).

 

Coûts

Sur le marché local on note une baisse des prix depuis 2 ans (vente < coût de production). En effet, la pomme de terre est vendue entre 0,80 (Larache en mars) et 1,50 (Ouled Ziane en juin) sachant qu’en grande distribution elle ne descend pas au dessous de 5-6 dh/kg toute l’année, signale M. Hicham Bennani. De leur côté, les coûts varient entre 1,50 (Larache) et 2,30-2,60 (Ouled Ziane), et quand la production bat son plein avec des prix au plus bas, les producteurs, pris entre le marteau des dettes et l’enclume du marché, rechignent à vendre à ces prix ‘‘suicidaires’’. Sachant que les prix sur le marché fluctuent de jour en jour ils stockent en espérant une amélioration.

A ces coûts de production, il faut ajouter, le cas échéant, les charges d’entreposage frigorifique (0,70 dh/kg entre juin et 15 octobre). En conséquence, les PDT sorties des frigos en octobre (coûtant 2,20-3,30 dh/kg) coïncident avec l’entrée en production des zones de montagne qui tirent les prix vers le bas.

Au vu de cette situation, les fils d’agriculteurs ne veulent plus prendre la relève et poursuivre dans cette profession et, pour certains professionnels, il est préférable d’acheter la production sur pieds plutôt que d’en assurer soi-même la production.

 

Pomme de terre industrielle

Les producteurs rechignent à cultiver les variétés industrielles (riches en matière sèche), même s’il en existe une dizaine sur les 500 inscrites au catalogue officiel. La principale raison est l’absence d’industrie de transformation de PDT.

A signaler que le Maroc importe des frites prédécoupées et calibrées (8-10.000 t) de l’UE et d’Egypte dans le cadre de l’accord de libre échange, ainsi que de PDT en flocons ou en poudre pour la fabrication de mortadelle.

Les restaurateurs préfèrent acheter les frites prêtes à l’emploi (surgelées), même si elles sont un peu plus chères, car elles leur évitent de consacrer du personnel à l’épluchage et au découpage, avec les chutes que ça implique, et leur permettent d’avoir un calibre homogène et de remettre au frigo les quantités non utilisées.

 

NB : Données Faostat, Mapm et calculs

 

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