Xylella fastidiosa,
une bactérie inquiétante pour l’agriculture marocaine
Younès Rechka et François Lefort
Groupe plantes et pathogènes, Institut Terre Nature Environnement, hepia, HES-SO//Genève 150 route de Presinge, 1254 Jussy.
Email: francois.lefort@hesge.ch
Tél. : (+41) 22 546 68 27
Historique
A la fin du 19ème siècle, une nouvelle maladie de la vigne sévit en Californie, détruisant des milliers d’hectares de vignobles. L’agent causal sera finalement identifié et nommé en 1987 (1) comme la bactérie Xylella fastidiosa. La maladie de Pierce, endémique à la Californie, est donc la première associée à cette bactérie. Depuis de nombreuses maladies lui ont été attribuées. Plus proche de nous et suscitant une grande inquiétude, deux foyers ont été détectés en 2013 en Italie, dans les Pouilles dans la région de Lecce, sur oliviers, lauriers roses, amandier et chênes, puis en France, en 2015 en Corse, dans le Var et les Alpes-Maritimes, sur des polygales à feuilles de myrte. Les foyers ont été éradiqués par arrachage et destruction des végétaux accompagnés de traitements insecticides contre les insectes vecteurs et l’application de mesures de confinement comprenant des traitements herbicides et insecticides. Suivant la France, le Maroc a interdit les importations de plants des espèces hôtes en provenance d’Italie, de façon à protéger la filière oléicole, déjà très importante et les milliers d’hectares de nouvelles plantations d’oliviers du “Plan Maroc Vert”.
Statut réglementaire
Xylella fastidiosa est un organisme nuisible de quarantaine réglementé dans l’espace de l’Organisation européenne et méditerranéenne pour la protection des plantes (OEPP). Son introduction et sa dissémination sont interdites (2). Suite au foyer identifié en Italie en 2013, une décision de l’Union Européenne (2014/87/UE) a été adoptée afin de renforcer la surveillance du pathogène en Europe, décision complétée par des réglementations nationales.
Taxonomie et biologie
Xylella fastidiosa est une gamma protéobactérie de la famille des Xanthomonadaceae, classée en groupe de sécurité de niveau 3 en Suisse et en Europe. Pathogène des végétaux, elle cause des maladies sous des noms variés à de nombreuses cultures importantes, par exemple elle est l’agent de la Chlorose panachée (variégée) des agrumes; de la Maladie de Pierce de la vigne; du Complexe de dessèchement rapide de l’olivier (CoDiRO) pour les maladies les plus importantes mais encore du Nanisme de la luzerne, des Brûlures foliaires de l’amandier, du laurier-rose, du pacanier, du poirier, du prunier, de l’Echaudure des feuilles du pêcher et du Flétrissement de la pervenche. Fastidieuse à cultiver, d’où son nom, les premières cultures axéniques de cette bactérie ne furent obtenues qu’en 1978, ce qui facilita grandement son étude, puisqu’en 1987, vingt-cinq différentes souches proches avaient déjà été isolées à partir d’échantillons de dix espèces de plantes hôtes. C’est une bactérie en forme de bâtonnet, aérobie stricte, sans flagelles, mais pourvue de fimbriae et ne formant pas de spores. Mesurant 0.1-0.5 µm de large et 1-5 µm de long, sa température optimale de croissance est de 26-28°C et son pH optimal de croissance de 6.5-6.9 (1). Du point de vue génétique, seule espèce du genre Xylella, elle serait dérivée du genre Xanthomonas. Vingt-neuf génomes sont déjà séquencés pour six sous-espèces caractérisées et montrent une grande variabilité entre souches isolées de différents hôtes. Par exemple la souche isolée sur olivier en 2013 en Italie montre une grande proximité génétique avec la souche X. fastidiosa subsp. pauca 9a5c, isolée de Chitalpa tashkentensis au Mexique et infectant les oliviers mais pas avec les sous-espèces fastidiosa et multiplex, infectant aussi les oliviers. Cette souche n’infecterait pas la vigne. X. fastidiosa colonise deux habitats distincts, les vaisseaux du xylème de la plante hôte dans la racine, la tige ou les feuilles et l’intestin antérieur des insectes suceurs de sève élaborée des plantes. La bactérie forme des biofilms dans le xylème de la plante et au niveau de l’intestin antérieur de l’insecte (vecteur). Les fimbriae jouent un rôle primordial dans la formation du biofilm, l’agrégation des cellules et dans la mobilité vibratoire de la bactérie.
Pathogénie
La pathogénie de X. fastidiosa est similaire à celle de Xanthomonas campestris pv. campestris. Elle produit un biofilm translucide composé de polysaccharides extracellulaires (EPSs) et des adhésines à la surface de la bactérie, qui, avec les fimbriae, sont essentiels à la formation d’agrégats conduisant à l’occlusion du xylème, qui entraînera des symptômes de stress hydrique, puis de dessèchement suivis de la mort des plantes. X. fastidiosa, entre aussi en compétition nutritionnelle avec la plante hôte causant des perturbations dans les feuilles, tiges et fruits, similaires à des symptômes de carences en fer, en cuivre et en manganèse La colonisation latérale des vaisseaux est facilitée par la sécrétion de cellulase et de pectinase dégradant les parois cellulaires. De plus X. fastidiosa produit des toxines affectant la croissance et le développement des plantes et résultant en symptômes de chlorose.
Les vecteurs
- fastidiosa est transmise de plante en plante par des insectes piqueurs-suceurs de sève brute, s’alimentant sur une large gamme de plantes. Ses vecteurs connus sont des hémiptères, du sous-ordre des Auchénorrhynches, ce sont des cicadelles (Cicadelllidae), des cercopes (Cercopidae), des aphrophorides (Aphrophoridae) et des cigales (Cicadidae) La bactérie n’a pas besoin d’une période de latence à la différence des phytoplasmes. La transmission de X. fastidiosa par les insectes piqueurs suceurs se fait d’abord par acquisition à partir d’une plante infectée, suivi de l’attachement à la cuticule de l’intestin antérieur de l’insecte. Les bactéries se multiplient ensuite dans l’intestin et l’insecte infecté les inocule à une autre plante hôte. Le degré et la spécificité de la colonisation diffère d’une souche bactérienne à l’autre. Une fois infectée par X. fastidiosa l’insecte reste infectieux car le pathogène peut se multiplier dans l’intestin antérieur et devient persistant dans les insectes adultes. Du fait de l’ancienneté des maladies à Xylella sur le continent américain, ce sont les vecteurs américains les mieux connus mais ces espèces ne se rencontrent pas en Europe ou en Afrique, où il n’existe que peu d’information sur les cicadelles vectrices. Outre les insectes, la bactérie peut être disséminée lors la multiplication, la taille et la commercialisation de plants contaminés.
Diversité
- fastidiosa est la seule espèce du genre Xylella, elle compte 6 sous-espèces :
- fastidiosa subsp. fastidiosa
- fastidiosa subsp. multiplex
- fastidiosa subsp. pauca
- fastidiosa subsp. sandyi
- fastidiosa subsp. tashke
- fastidiosa subsp. morus
De nombreux génomes pour des souches de ces 6 sous-espèces sont désormais disponibles. La répartition géographique des sous espèces est représentée dans la figure 1. Chacune de ces sous-espèces possède un spectre d’hôte spécifique dont les principales cultures d’importance économique sont résumées dans le tableau 1.
Tableau 1 Spectres d’hôtes des sous espèces de X. fastidiosa
Sous espèces de X. f. | Plantes hôtes |
X. f. subsp. fastidiosa | vigne, amandier, caféier |
X. f. subsp. multiplex | amandier, autres Prunus spp., arbres feuillus, espèces ornementales |
X. f. subsp. pauca | agrumes ,olivier, caféier |
X. f. subsp. sandyi | laurier rose |
X. f. subsp. tashke | Chitalpa tashkentensis |
X. f. subsp. morus | Morus, Nandina domestica |
Spectre d’hôtes
Le spectre d’hôte de X. fastidiosa est très large avec plus de 300 espèces végétales appartenant à 187 genres et à plus de 68 familles botaniques dont 6 familles monocotylédones, 59 dicotylédones et 3 gymnospermes (Figure 2). Un nombre considérable d’autres espèces de plantes hôtes ne développant pas de symptômes, pourraient servir de réservoir à la bactérie, ce qui sera très problématique pour le contrôle des épidémies de X. fastidiosa. Parmi ces plantes hôtes figurent des espèces de grand intérêt agro-économique comme la vigne (Vitis vinifera, Vitis labrusca, Vitis riparia), les agrumes (Citrus spp.) et les Prunus (amandier, pêcher, pruniers) et les caféiers (Coffea spp.). La bactérie attaque aussi de nombreuses espèces ornementales: le platane américain (Platanus occidentalis), l’orme blanc américain (Ulmus americana), le liquidambar (Liquidambar styraciflua), les chênes (Quercus spp.), l’érable rouge (Acer rubrum), le mûrier rouge (Morus rubra) ainsi que le laurier rose (Nerium oleander). Enfin des plantes herbacées et arbustives, dont certaines d’importance économique comme la luzerne cultivée, sont des hôtes de X. fastidiosa. De nombreuses espèces sauvages, des plantes adventices, des plantes rudérales, des lys, et diverses espèces d’arbustes sont susceptibles d’accueillir la bactérie sans présenter de symptômes (infections asymptomatiques).
Quelques exemples de symptômes de la maladie
Chlorose panachée (variégée) des agrumes
Les symptômes de chlorose panachée se manifestent sur de jeunes arbres jusqu’à un âge de 7 à 10 ans. Les arbres de plus de 15 ans ne sont pas totalement atteints, mais présentent des symptômes sur certaines branches. Ces symptômes sont similaires à ceux d’une carence en zinc avec chlorose internervaire. De petites lésions marrons, devenant nécrotiques apparaissent sur l’épiderme inférieur, en correspondance aux taches chlorotiques de l’épiderme supérieur (figure 3). Les conséquences sont une réduction du calibre des fruits, une dureté du zeste, une chute de la production, un ralentissement de la croissance des arbres, une diminution de la canopée et des dépérissements de branches.
Le Complexe de dessèchement rapide de l’olivier « CoDiRO »)
Les symptômes ne sont pas spécifiques : dessèchement de la marge des feuilles, s’étendant à l’arbre entier conduisant à sa mort (Figure 4), comme chez l’amandier et le laurier-rose.
Détection
Toutes les méthodes classiques sont utilisables pour la détection de X. fastidiosa : microscopie, indexage par greffe sur plantes indicatrices sensibles, isolement en culture pure, immunologie et identification génétique pour la détection dans les plantes et les insectes vecteurs. Un test immunochromatographique est désormais disponible pour détection in situ.
Lutte contre Xylella
Comme toute maladie bactérienne, la lutte est difficile et a principale méthode de lutte reste la prophylaxie par la certification et l’utilisation de plants sains, l’éloignement des plantations des zones favorables à l’insecte vecteur, que sont zones humides et cours d’eau, et les traitements insecticides dans les zones infectées. Dans les zones non infectées l’application des règles de quarantaine et l’éradication des foyers ponctuels ont été jusqu’à présent satisfaisantes. En ce qui concerne les traitements, l’Autorité européenne de sécurité des aliments a évalué la méthode de traitement à l’eau chaude utilisée contre la flavescence dorée et a démontré son efficacité contre X. fastidiosa sur vigne. Le traitement consiste à immerger les plants dormants ou parties de plants sont immergés pendant 45 minutes dans de l’eau chauffée à 50° C. D’autres méthodes sont à l’essai comme le traitement des oliviers dépérissant avec la N-acétylcystéine (NAC), un acide aminé non essentiel qui réduit l’adhérence des bactéries dans le xylème de la plante en perturbant la formation du biofilm. Utilisée récemment en fertirrigation, chez des orangers atteints, elle induit une rémission importante des symptômes. Enfin l’application de bactériophages c’est-à-dire de virus spécifique de X. fastidiosa, est envisageable puisque plusieurs bactériophages de Xylella fastidiosa ont été isolé et caractérisé Cette méthode de lutte spécifique est prometteuse et des essais in situ et en serre sont menés en Californie. L’application stricte des mesures de quarantaine, la combinaison de la prophylaxie et des méthodes de lutte devraient permettre d’éviter la dissémination de cette bactérie dans le bassin méditerranéen jusqu’à maintenant épargné.
Légendes des figures
Figure 1. Distribution des six sous-espèces de Xylella dans le monde (© Inra/Pascale Inzerillo).
Figure 2. Nombre d’espèces de plantes hôtes par famille botanique (3).
Figure 3. Symptômes de Xylella fastidiosa sur agrumes (©http://www.invasive.org et http://www.bugwoodcloud.org )
3a Chlorose sur feuille
3b Face inférieure d’une feuille malade
3c Fruits atteints
3d Arbre malade avec symptômes de chlorose
3e Fruit de plante saine à gauche et fruit de plante malade à droite
3f À gauche des fruits de petites tailles issus de plantes malades
Figure 4. Symptômes de Xylella fastidiosa sur olivier (©EPPO Gallery
4a Nécrose de l’apex des feuilles
4b Dessèchement de feuilles
4c Dessèchement de rameaux entiers
4d Dessèchement sectoriel sur arbre d’olivier
4e Brunissement du tissu vasculaire dû à X.fastidiosa associé à une attaque de Zeuzera pyrina (galerie)
4f Brunissement du tissu vasculaire