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Maraîchage : Tuta absoluta, le retour

Retour en force de Tuta absoluta : causes et méfaits

Prof Hmimina M’hamed, IAV Hassan II – Rabat

Dans un article intitulé Pourquoi Tuta absoluta est sans écho ? C’en est-il fait de ses menaces ? paru dans ce même magazine en juin 2013, nous avons fait état des processus qui régissent l’invasion des espèces invasives dont fait partie Tuta absoluta. Les affolements suscités par l’arrivée du ravageur avaient connu des sommets entre 2008 et 2010 et ses dégâts étaient une vraie catastrophe pour les serristes avec plus de 20 traitements/saison !

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Cette irruption a provoqué d’énormes dégâts et une extension foudroyante dans nos zones de production dont il était difficile de gérer sans mal le branle-bas. Les producteurs qui ont su négocier une certaine maîtrise de la situation n’ont pu le faire qu’en combinant divers facteurs : lutte chimique, piégeage sexuel massif, tunnels insectproof, brûlage des débris des cultures infestées, etc. Tout cela était accompagné d’une mobilisation des professionnels, une réactivité des pouvoirs publics et une volonté des entreprises engagées dans la protection. T. absoluta a été donc défait par la force et les champs attaqués purifiés par l’obstination.

L’issue de cette action fut le retour en arrière des populations, leur chute démographique et enfin leur effondrement. Mais ce n’est pas complet comme explication. Une interprétation supplémentaire de nature écologique était proposée avec en conclusion une mise en garde claire que je rappelle in extenso : restons toutefois prudents, avec les serres, T. absoluta est peu dépendant de la nature. Il n’est plus même totalement inséré dans les agrosystèmes comme le sont les autres espèces invasives. Il peut sévir effroyablement.

Depuis près de huit ans maintenant, la présence et les dégâts de ce ravageur sur ses cultures hôtes ont fait et font de lui le centre d’attention dans le montage et l’exécution de méthodes de surveillance et de lutte. Initialement, à son arrivée, la lutte chimique était le principal outil de répression des populations dans toutes les régions de production. Contraints, les maraîchers ont tenté de diminuer les ravages en traitant jusqu’à deux fois par semaine leurs cultures. Mais une lutte chimique efficace est difficile à réaliser en raison du comportement mineur des larves. Peu à peu, diverses techniques se sont développées : course des firmes à pourvoir le marché en insecticides adaptés, lutte biologique (auxiliaires, biopesticides, phéromones …), pratiques culturales….

Naturellement, comme ce qui se passe pour d’autres ravageurs, toutes ces techniques devraient finir par montrer certaines limites dans leur utilisation et certaines irrégularités quant à leur efficience, auxquelles nous pensons ajouter le relâchement qui suit la fébrilité : le ravageur étant là on s’y habitue, on se protège un peu moins qu’à sa survenue et dans la hâte ! On a oublié que la vigilance doit être intensifiée dans tous les domaines mêlés à la production : pépinières, fermes, serres, stocks, emballages, coopératives… Profitant de cette négligence, T. absoluta semble donc reconstituer ses populations sans entrave avec évidemment une meilleure disposition biologique : la résistance. Et pour un tel insecte, doté en plus d’une parthénogénèse comme nous en parlerons plus bas, il est facile de se régénérer de si peu.

 

Développement de la résistance

 

Les observations relatives au développement de la résistance aux insecticides chez T. absoluta dans son aire d’origine étaient peu communes. Nous en rapportons compendieusement quelques unes afin de mieux comprendre le processus.

Une diminution de l’efficacité des organophosphorés a été constatée en Bolivie et au Chili vers les années 1970, mais compensée d’une manière satisfaisante par l’arrivée des pyréthrinoïdes sur le marché. Plus tard, vers 2000, une résistance aux organophosphorés et aux pyréthrinoïdes est notée au Chili, à l’abamectine, à l’hydrochloride (cartap), au méthamidophos et à la perméthrine au Brésil. En Argentine, les seuls insecticides déployés contre la mineuse étaient les organophosphorés, puis progressivement relayés par des pyréthrinoïdes au cours des années 1970. Au début des années 1980, le cartap, alterné avec les pyréthroïdes, et le thiocyclam ont témoigné d’une excellente efficacité. Une décennie plus tard, des produits avec de nouveaux sites d’action tels que l’abamectine, les régulateurs de croissance (acylurées, spinosad, tebufénozide, chlorofénapyr) ont été utilisés avec succès contre le ravageur. Mais l’apaisement fut de courte durée. La méthode de lutte, entièrement chimique, et les exigences immodérées de la tomate en traitements, parfois jusqu’à 36 interventions sur une saison de culture, ont conduit inévitablement les populations à la résistance.

Dans ses directives pour la prévention et la gestion de la résistance aux pesticides, la FAO (2012) dresse un tableau exhaustif des facteurs biologiques, génétiques et opérationnels dans le développement de la résistance (Tabl. 1).

 

Tableau 1. Facteurs biologiques, génétiques et opérationnels dans le développement de la résistance

Facteurs Potentiel pour le développement d’une résistance
Facteurs biologiques Faible Elevé
Taille de la population Petite Grande
Potentiel reproductif Faible Elevé
Voltinisme Monovoltin Polyvoltin
Type de reproduction Sexué Asexuée
Dispersion Faible Importante
Métabolisme des pesticides Difficile Facile
Sites cibles Multiples Uniques
Gamme d’hôtes Etroite Large
Facteurs génétiques
Apparition des gênes de résistance Absents Présents
Nombre de mécanismes de résistance Un seul Plusieurs
Fréquence des gênes Basse Elevée
Dominance des gênes de résistance Récessive Dominante
Valeur adaptative des individus R Médiocre Bonne
Protection induite par le gêne R Médiocre Bonne
Résistance croisée Négative ou absente Positive
Sélection antérieure Aucune Significative
Gênes modificateurs Absents Présents
Facteurs opérationnels
Spectre d’activité du pesticide Etroit Large
Taux d’application du pesticide Selon l’étiquette Plus que l’étiquette
Couverture de l’application Bonne Médiocre
Systémie du pesticide Effet variable : peut accroitre ou diminuer le risque de résistance
Fréquence des traitements Basse Elevée
Présence des ravageurs secondaires Absents (un seul ravageur ciblé) Présents (divers ravageurs sont traités
Stades de vie traités Unique Multiples
Proportion de la population traitée Effet du facteur variable: peut accroitre ou diminuer le risque de résistance
persistance Courte durée Longue durée
Nombre de cultures traitées Une Plusieurs
Séquence de la culture Cultures séparées dans le temps ou

géographiquement

Cultures en continu, cultures intercalaires
Tactiques de lutte Multiples (chimiques, biologique, culturales Utilisation continue d’une méthode ou

d’un pesticide

Effets sur les éléments non ciblés Activité sélective sans effet sur les auxiliaires Non sélective, les auxiliaires sont tués aussi

 

Si l’on parcourt les éléments amoncelés dans la colonne gauche de ce tableau et l’on y confronte T. asoluta, on la découvre totalement et vigoureusement candidate à la résistance. Sans que l’on songe davantage à le montrer, même en matière de reproduction, des études récentes démontrent sa capacité à procréer par parthénogenèse, donnant ainsi naissance à une descendance viable sans le besoin d’une fécondation sexuée. En effet, son infection par la bactérie Wolbachia, présente au sein de divers arthropodes, agit de façon non négligeable sur la sexualité des individus qu’elle infecte, et est particulièrement capable d’engendrer une parthénogenèse « non programmée » chez la mineuse comme il est le cas chez d’autres insectes. Sur ce point particulier, nous pensons que la parthénogénèse, développée récemment par T. absoluta, est un moyen de résistance aux luttes phéromonales afin d’assurer sa pérennité. En conséquence, la tomate est donc en proie à un déprédateur gratifié de potentialités exemplaires pour sévir farouchement.

Depuis quelques années, les conditions d’utilisation des insecticides sont bien explicitées en se basant sur l’analyse des risques de développement ponctuel de populations résistantes. Leur compréhension et leur mise en œuvre en termes de préconisation et d’utilisation, étapes indispensables pour maintenir l’efficacité des modes d’action disponibles, d’autant plus que l’innovation se fait de plus en plus rare, sont malheureusement parfois laissées de côté. Sous la pression du ravageur, du marché, du prix de revient, etc. les maraichers pratiquent des assortiments qu’ils auraient dû éviter.

 

Les bonnes pratiques phytosanitaires

 

Le comité d’action contre la résistance aux insecticides (IRAC) met en avant depuis des décennies des mesures de bonnes pratiques phytosanitaires, redites régulièrement par les techniciens aux utilisateurs afin de minimiser la sélection de populations résistantes. La plus importante est : ne pas réaliser des applications répétées d’insecticides issus d’une même famille chimique. Pour mémoire, les recommandations du groupe ‘Mode d’action IRAC’ sont accessibles en cliquant sur : www.irac-online.org/documents/moa-brochure/?ext=pdf

Ce comité précise aussi d’autres conditions d’emploi qui sont parfois peu prises en compte par manque de connaissance, notamment dans le cadre de la construction de stratégies efficaces de gestion préventive du risque d’apparition de résistance, pour des cultures soumises à plusieurs générations successives d’une ou plusieurs espèces de ravageurs.

En effet, IRAC accorde, à juste titre, une importance particulière aux applications. Les traitements au même mode d’action doivent s’agencer en ‘fenêtre‘, dont la durée est déterminée par la biologie et les stades du ou des ravageur(s) ciblé(s) et de la culture. Une ‘fenêtre de traitement‘ est une période d’activité résiduaire apportée par une application ou une séquence d’applications d’un même mode d’action. Théoriquement, la ‘fenêtre de traitement’ correspond a minima, à la durée d’une génération d’un ravageur cible. Plusieurs applications d’un produit d’un même groupe IRAC sont possibles au sein d’une fenêtre de protection mais il est reconnu fondamental que deux générations successives d’un même ravageur ne soient pas traitées avec des matières actives d’un même groupe.

Il faut redire que le nombre maximum d’applications signalé sur la vignette de chaque produit ne doit pas être ignoré ou sous-estimé et qu’il convient donc de définir le meilleur positionnement de chaque spécialité en fonction de ses caractéristiques et des besoins de la protection pour chaque période d’une culture donnée. Faudrait-il emprunter aux cigarettiers leur avertissement ?

Le recours à des méthodes culturales ou de lutte biologique permettant de retarder dans la saison ou de limiter les applications insecticides est une partie importante dans la construction d’un programme durable de protection. Et pour le cas où des mécanismes de résistance métabolique pourraient occasionner des résistances croisées entre groupes IRAC, les recommandations doivent être adaptées en conséquence pour créer de réelles alternances en puisant dans les groupes définis par l’IRAC, avec au moins une génération/fenêtre non assujettie à une pression de sélection.

 

Sur toute culture, le défaut de respect des consignes exposées ci-dessus et des conditions d’emploi précisées sur l’étiquette des produits conduit généralement à de sérieuses complications de production comme ce fut le cas notamment en Sicile en 2014, dans des serres de tomates attaquées par T. absoluta et à présent chez nous. Et si on savait apprécier et tirer profit des expériences des autres ?

Des utilisations répétées de spécialités à base de diamides (chlorantraniliprole et flubendiamide (groupe IRAC 28) au cours de ces dernières années par des utilisateurs ne respectant pas les recommandations édictées en matière de nombre total d’application et d’alternance par fenêtre ont conduit à la détection de cas de résistance aux diamides, et cela malgré un contexte favorable en terme de nombre de familles chimiques homologuées et efficaces contre ce ravageur. Pour Tuta, un raisonnement rigoureux des traitements et de leur rythmicité demeure un impératif précisé déjà en 2011 (voir www.irac-online.org/documents/tuta-absoluta-irm-poster/?ext=pdf). Il est salutaire que ces recommandations soient partagées et mises en œuvre par les prescripteurs et les maraichers, afin de garantir la durabilité des stratégies actuelles et par conséquent celles des exploitations.

Mais là encore, un tel comportement est plus facile à critiquer qu’à prévenir. Les professionnels savent mieux que tout donneur d’ordre les limites de ce qu’ils font et ce qu’il fallait a fortiori faire. C’est un peu pour cette raison qu’ils finissent toujours par cette exclamation sédative : Dieu nous donnera une année plus heureuse que la dernière ! Et ça recommence et c’est ainsi que l’on a des fruits et des légumes plus appréciés que le labeur de leurs producteurs. La corne d’abondance de la baraka et de l’espoir est inépuisable ! On ne saurait à se souvenir combien dans ce métier la perte est près du gain.

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