La Lutte Biologique contre Allorhizobium vitis, agent causal du Crown Gall de la vigne, est-elle possible ?
El Hassan Achbani 1, Khaoula HABBADI 2
- Directeur de Recherche, INRA Meknès
- INRA Meknès/ Faculté des Sciences Kénitra
Le Crown Gall ou la galle du collet de la vigne est une maladie bactérienne causée par la bactérie Allorhizobium vitis anciennement appelée Agrobacterium vitis (Figure 1). Cette bactériose est souvent présente de manière native dans certains sols, elle nécessite une blessure récente non cicatrisée de la plante hôte (vigne) pour permettre l’infection. Une fois à l’intérieur, elle pirate l’ADN de la cellule végétale où elle introduit une portion de son plasmide Ti (Tumor Inducing) -l’ADN-T- dans le génome de la cellule hôte afin que celle-ci sécrète des molécules nécessaires pour sa multiplication qui sont les opines. L’ADN-T code aussi pour la production des phytohormones (auxines et cytokinines) qui sont responsables de la prolifération des cellules désordonnées formant ainsi des tumeurs qui sont le plus souvent formées au niveau du collet de l’arbre (Figure 2).
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Problématique
La galle du collet occasionne des dommages importants dans plusieurs régions viticoles partout dans le monde et en particulier au Maroc. Les dommages varient selon la sévérité de la maladie, l’âge de la vigne, le stade d’infection et les conditions pédoclimatiques. Cette galle est très difficile à contrôler puisqu’il s’agit d’une bactérie systémique. Ainsi, une fois le processus infectieux déclenché, il est quasi-impossible d’éliminer la maladie ou d’arrêter le développement des tumeurs. Cette maladie tue rarement l’arbre, mais elle affecte essentiellement sa croissance, sa productivité, son rendement, sa vigueur ainsi que la qualité et la quantité des fruits.
Moyens de lutte employés
Etant donné que l’infection est principalement systémique, à ce jour, aucun traitement efficace n’est disponible pour le contrôle de la maladie, ou pour éradiquer la bactérie une fois introduite dans le tissu vasculaire de la plante hôte. Généralement, la lutte contre A. vitis se base essentiellement sur les techniques de prévention culturales. En effet, des méthodes traditionnelles et simples consistant à adapter et à bien gérer les pratiques de culture avant et après la plantation sont employées, de manière à diminuer les risques d’attaques des vignes par A. vitis. Parmi les stratégies culturales de contrôle de la maladie les plus pratiquées, on cite :
i) l’utilisation du matériel de reproduction de plants de vigne propres,
ii) la prévention des blessures hivernales par la sélection des sites avec un bon débit d’air et d’eau pour réduire les lésions causées par les basses températures (portes d’entrée à la bactérie) et
iii) la mise en terre autour des vignes afin de les protéger contre les dommages causés par le froid.
Pour la lutte chimique, actuellement, Il n’y a pas de véritables options efficaces pour le contrôle de la galle du collet au champ. En effet, certains produits, comme le sulfate de cuivre, les désinfectants généraux (hypochlorite de sodium, alcool, …) et quelques antibiotiques, ont déjà été utilisés sur les vignes asymptomatiques hébergeant la bactérie en état latent et sur les vignes malades. Cependant, ces traitements peuvent tuer les bactéries sur les surfaces des galles, mais ne parviennent pas à contrôler le pathogène résidant systémiquement dans le tissu vasculaire de la vigne.
Au regard de l’efficience des moyens de contrôle de la maladie, il est important de trouver des solutions alternatives qui permettront de lutter contre cette bactérie. Celles-ci peuvent faire appel au développement des moyens de lutte biologique dont le principe actif est un organisme vivant ou l’un de ses dérivés. Ils peuvent être des organismes (plantes, insectes,…), des microorganismes (bactéries, levures, champignon et virus) ou même des substances naturelles (huiles essentielles, extraits végétaux). En effet, ces traitements exercent une activité protectrice beaucoup plus importante que les produits chimiques. Ils sont moins dommageables pour les organismes non ciblés et pour l’environnement.
Lutte biologique, Une méthode de lutte alternative incontournable dans le contrôle de la maladie
Usage d’antagonistes
La lutte biologique contre la galle du collet de la vigne a été l’objet de plusieurs études récentes en vue de l’absence d’autres moyens de contrôle efficaces. Plusieurs microorganismes du sol non-pathogènes ont été évalués pour leur efficacité à prévenir la formation des galles induites par A. vitis et qui sont déjà connus par leurs pouvoirs antagonistes contre d’autres microorganismes phytopathogènes. En effet, l’utilisation de certaines souches d’Agrobacterium et d’Allorhizobium non tumorigènes constitue une des méthodes de contrôle biologique contre l’agent causal de la galle du collet de la vigne. Ces espèces bactériennes ont été testées et évaluées pour la protection des cultivars sensibles de vignes dans plusieurs pays (Tableau 1).
Le laboratoire de recherche et de protection des plantes à l’institut national de la recherche agronomique de Meknès (INRA), s’est investie beaucoup depuis ces dix dernières années, afin d’évaluer toute une collection d’antagonistes microbiens (bactéries et levures) contre plusieurs agents pathogènes. Depuis 2008, l’année qui a connu l’explosion de la maladie de la galle du collet de la vigne dans la région de Meknès, nous avons mené des travaux de recherche visant le développement des moyens de contrôle de la galle du collet qui sont purement biologiques. Nous avons montré qu’il existe quelques bactéries possédant une forte activité antagoniste in vitro et in planta sur plante indicatrice : tomate (Figure 3), telles que les Bacillus, Pantoea, Acinitobacter, Rahnella et d’autres appartenant à la collection du laboratoire. Ces bactéries se caractérisent par leur capacité de coloniser le système racinaire en influençant de manière bénéfique la plante par la stimulation de sa croissance et/ou en la protégeant contre les infections soit d’une façon directe (antibiose, compétition ou parasitisme) ou indirecte (induction des mécanismes de la résistance de la plante hôte). Certains de ces microorganismes sont épiphytiques, c’est-à-dire qu’ils colonisent les surfaces racinaires, tandis que d’autres peuvent également enter à l’intérieur des plantes et devenir ainsi des endophytes.
Usage des plantes aromatiques et médicinales (PAM)
Les plantes aromatiques et médicinales (PAM) sont caractérisées par la production de molécules bio-actives ayant des propriétés utiles en cosmétologie, en pharmacie, en agronomie et dans l’environnement. La qualité, la quantité et la nature de ces molécules dépendent étroitement de l’espèce végétale et de son environnement. Généralement, les attaques microbiennes des PAM sauvages sont très rares, puisque ces plantes élaborent un système de défense naturelle qui leur permet de lutter efficacement contre les pathogènes. Pour se protéger contre les micro-organismes phytopathogènes, les PAM synthétisent une multitude de molécules antimicrobiennes (MM<500 Da), et pour cette raison, elles sont considérées comme une source inépuisable de substances et composés naturels bioactifs. L’activité antimicrobienne de ces molécules pour certaines PAM est proche ou supérieure à celle exercée par les antibiotiques d’origine microbienne et dont les concentrations requises pour exercer une activité antimicrobienne sont plus élevées. En plus, ces molécules antimicrobiennes présentent un spectre d’action plus restreint que celui généré par les antibiotiques microbiens. Notamment, les huiles essentielles (HE), ou essences aromatiques végétales qui sont des substances odorantes, volatiles, huileuses (hydrophobe) issues du métabolisme secondaire des PAM constituent une vraie alternative depuis l’émergence des microorganismes résistants aux antibiotiques. Dans ce contexte, plusieurs études ont été effectuées dans le but d’évaluer l’activité antibactérienne des HE des PAM contre plusieurs pathogènes des cultures (Erwinia amylovora, Botritis cinerea, …).
Jusqu’à présent, aucune étude n’a été réalisée pour l’évaluation de l’activité antibactérienne des HE contre Allorhizobium vitis, tous les travaux de recherche ont été effectués sur A. tumefaciens à large gamme d’hôte, en plus les résultats obtenus sur A. tumefaciens ne sont pas transposables à A. vitis, en raison de la distance génétique entre les deux genres Agrobacterium et Allorhizobium. Notre laboratoire de Bactériologie végétale et de lutte biologique de l’INRA de Meknès a focalisé ses activités ces dernières années sur l’utilisation des HE des PAM dans la lutte contre ce pathogène. Une collection des PAM sauvages et autres espèces végétales de plusieurs régions du Maroc a été utilisée (Tableau II). L’évaluation de l’activité antibactérienne de ces HE contre A. vitis a été effectuée dans un premier temps in vitro et dans un deuxième temps in planta sur plantes indicatrices et sur vigne. Les HE de certaines PAM exercent une grande activité contre A. vitis par l’inhibition de la croissance de la bactérie en empêchant ainsi le développement des tumeurs après leur utilisation comme traitements préventifs. Le travail est en cours pour l’obtention d’un biopesticide à base des HE les plus performantes.
Figure 1 : Cellules d’Allorhizobium vitis obtenues par microscopie électronique à balayage Quanta 250 à 10 KV
Figure 2 : Tumeurs développées sur le collet d’une vigne infectée dans la région de Meknès
Figure 3 : Evaluation de l’activité antibactérienne des antagonistes bactériens in planta sur plante de tomate via un traitement préventif. A : Témoin positif (inoculation avec Allorhizobium vitis). B : Rahnella sp. C : Pantoea sp. D : Bacillus sp. E : Acinitobacter sp
Tableau I : Liste des souches bactériennes sélectionnées et examinées dans plusieurs études pour la lutte biologique contre Allorhizobium vitis
Antagoniste | Souche | Caractéristiques |
Agrobacterium radiobacter |
HLB-2 | – Inhibition de la formation de la tumeur sur les pousses de la vigne inoculée et après traitement préventif des racines |
M115 |
– Inhibition in vitro de la croissance et de la formation des tumeurs dues à A. vitis.
– Colonisation des plaies sur les tiges de raisin. |
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J73 | – Production d’agrocine avec un large spectre d’activité contre A. vitis et A. tumefaciens. | |
Allorhizobium vitis
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E26 | – Efficacité in vitro et in vivo sur différentes souches d’A. vitis,
– Inhibition de l’attachement des souches tumorigènes d’A. vitis sur la vigne et colonise le système racinaire |
F2 | – Efficacité in vitro et in vivo sur A. vitis | |
F2/5 | – Inhibition de la croissance de toutes les souches d’A. vitis testées,
– Prévention ou Inhibition du transfert de l’ADN-T à la cellule hôte de la vigne, |
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CG1077 (F2/5 mutante) | – Efficacité élevée par rapport à la souche F2/5 dans l’inhibition et la réduction de développement des tumeurs | |
CG1076 | – Réduction des tumeurs causées par les souches d’A. vitis K306 et CG49 | |
CG1079 | – Réduction des tumeurs causées par les souches d’A. vitis K306 et CG49 | |
CG523 (F2/5 mutante) | ||
F2/5 (pT2TFXK) | – Efficace élevée par rapport à la souche sauvage F2/5
– Inhibition du développement des tumeurs causées par plusieurs souches d’A. vitis – Production de l’antibiotique : peptide trifolitoxin |
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VAR03-1 | – Forte Efficacité in vitro et in vivo
– Forte colonisation des racines |
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Pseudomonas aureofaciens | B-4117 | – Inhibition du développement de la tumeur sur vigne après bactérisation des boutures. |
Pseudomonas fluorescens |
CR330D | – Réduction de l’incidence de la maladie et inhibition de la tumorisation |
1100-6 | – Réduction de l’incidence de la maladie et de la population interne d’A. vitis. | |
1385-B | – Inhibition de la croissance d’A. vitis in vitro par la diffusion des substances (antibiotique : DAPG) | |
1388-B | ||
Pseudomonas corrugata | JC583 | – Inhibition à différents degrés de la formation de tumeurs chez la vigne inoculée |
Rahnella aquatilis |
HX2 | – Inhibition de la formation de la maladie
– Bonne efficacité contre un certain nombre de souches d’A. vitis – Production d’un composé antimicrobien |
Bacillus spp. | EN63-1 | – Inhibition in vitro de la croissance d’A. vitis |
E71-1 | ||
Pseudomonas agglomerans | B8
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– Inhibition in vitro de la croissance d’A. vitis et in planta le développement des tumeurs |
Tableau II : liste des PAM dont l’HE est utilisée dans la lutte biologique contre Allorhizobium vitis
PAM |
Nom Commun |
Nom Scientifique |
Armoise commune | Artemisia vulgaris L. | |
Ciste | Cistus ladanifer L. | |
Calamintha | Satureja calamintha (L.) Scheele | |
Menthe pouliot | Mentha pulegium L. | |
Lavande | Lavandula stoechas L. | |
Origan | Origanum compactum Benth. | |
Romarin | Rosmarinus officinalis L. | |
Thym | Thymus vulgaris L. | |
Eucalyptus | Eucalyptus globulus L. | |
Bigaradier | Citrus aurantium L. |