Désherbage des céréales
Attention à la résistance du ray grass et du coquelicot
Dr. Abbès Tanji, Spécialiste du désherbage
Dans les périmètres irrigués de Doukkala et de Tadla, le ray grass (Lolium rigidum) a développé la résistance aux herbicides appartenant à diverses familles chimiques et ayant deux modes d’action différents. A Sefrou et dans le périmètre du Tadla, le coquelicot (Papaver rhoeas) est devenu résistant aux herbicides ayant deux modes d’action différents. Il est donc nécessaire de comprendre ce phénomène pour éviter son développement dans les autres périmètres et autres régions agricoles du pays.
La résistance est une caractéristique héritable qui fait qu’une plante n’est pas contrôlée par un herbicide correctement appliqué. Elle traduit la capacité qu’a une population d’adventices de survivre à un traitement herbicide qui, sous des conditions d’utilisation normales, réussirait à la maîtriser efficacement.
Facteurs favorisant la résistance
Les facteurs qui ont favorisé le développement de la résistance chez les deux adventices sont de trois types :
- Facteurs liés à l’adventice :
– le ray grass et le coquelicot sont des adventices annuels à forte production de semences,
– le taux de germination des semences est élevé,
– la période de germination coïncide avec celle du blé et de la betterave, etc
- Facteurs liés aux herbicides :
– fréquence d’utilisation des herbicides élevée dans le blé et la betterave dans les périmètres irrigués de Doukkala et de Tadla,
– excellente efficacité des fops sur le ray grass et des sulfonylurées sur le coquelicot (>99%) avant l’apparition de la résistance,
– site d’action unique des herbicides abusivement utilisés avant l’apparition de la résistance : l’enzyme ACCase chez le ray grass, l’enzyme ALS chez le coquelicot.
- Facteurs agronomiques : monoculture (blé/blé, betterave/betterave) ou rotation courte (blé/betterave).
Deux mécanismes entrent en jeu : la résistance par mutation de l’enzyme cible et/ou la résistance par détoxication. Dans ce dernier cas, la plante développe des enzymes qui dégradent les molécules d’herbicides et les rendent inactives.
Cas du ray grass
Une population de ray grass résistante aux herbicides est apparue aux Doukkala et au Tadla depuis l’an 2000. Ces deux périmètres sont actuellement envahis par cette population devenue résistante à 8 herbicides du blé (clodinafop, diclofop, flucarbazone, iodosulfuron, mésosulfuron, pinoxaden, pyroxsulame et tralkoxydime) et 5 herbicides de la betterave et autres cultures dicotylédones (cycloxydime, fluazifop, haloxyfop, propaquizafop et quizalofop).
Tous ces herbicides sont soit des inhibiteurs de l’acétyle coenzyme A carboxylase (ACCase) qui est une enzyme catalysant la synthèse des acides gras, soit des inhibiteurs de l’acétolactate synthase (ALS) qui est une enzyme catalysant la synthèse des acides aminés ramifiés valine, leucine et isoleucine. Il faut préciser que l’apparition de cette résistance est due à l’emploi répété d’herbicides « fops » : clodinafop, diclofop, etc… dans le blé et fluazifop, haloxyfop, etc. dans la betterave à sucre entre 1990 et 2000 dans la rotation betterave-blé.
Aux Doukkala, cette ivraie résistante aux herbicides infeste actuellement environ 100 mille hectares irrigués, situés essentiellement aux environs de Tnine Gharbia, Khémis Zemamra et Sidi Bennour. Au Tadla, le ray grass résistant est localisé dans quelques fermes connues par l’intensification de la production du blé et de la betterave.
En 2013, aucun herbicide de post-levée du blé ne contrôle ce ray grass résistant. Seul prosulfocarbe (BOXER 5 L/ha) est actuellement homologué en pré-levée du blé pour bloquer la germination du ray grass et autres adventices annuels. C’est un désherbant qui inhibe la synthèse des lipides.
Dans la betterave, les recherches ont montré que ce ray grass résistant est encore sensible au cléthodime dans la betterave à sucre et autres cultures dicotylédones. Carbétamide (KARTOUCHE) a été récemment homologué contre le ray grass résistant dans la betterave. Il inhibe la formation des microtubules.
Ce ray grass résistant demeure sensible aux herbicides non sélectifs comme glyphosate, glufosinate et paraquat.
Cas du coquelicot
Deux populations de coquelicot résistant aux herbicides sont apparues depuis l’an 2000 : l’une à Sefrou et l’autre au périmètre irrigué du Tadla. Ces deux populations sont devenues résistantes à 14 herbicides sélectifs du blé (dicamba, florasulame, flucarbazone, flumetsulame, iodosulfuron, mésosulfuron, metsulfuron, pyroxsulame, sulfosulfuron, thifensulfuron, triasulfuron, tribénuron, 2,4-D et MCPA).
Tous ces herbicides sont soit des inhibiteurs de l’acétolactate synthase (ALS) qui est une enzyme catalysant la synthèse des acides aminés ramifiés valine, leucine et isoleucine, soit des herbicides ayant une action semblable à celle de l’acide indole acétique qui est une auxine synthétique.
Les recherches ont montré que le coquelicot résistant est sensible à l’aminopyralide dans le blé ainsi qu’aux herbicides non sélectifs comme glyphosate, glufosinate et paraquat.
Comment éviter l’apparition de la résistance
- Le labour réduit les risques de résistance en diminuant le nombre de levées de plantules, notamment des espèces dont les graines sont peu persistantes dans le sol comme le ray grass et le coquelicot. Les labours sont conseillés pour permettre un épuisement naturel maximal du stock semencier qui se trouve dans le sol.
- Les rotations de cultures variées restreignent considérablement la dominance d’adventices à levée automnale comme le ray grass et le coquelicot.
- Pour préserver de façon préventive l’efficacité des différentes familles d’herbicides :
– éviter de réutiliser un même groupe d’herbicides dans les différentes cultures de la rotation ou en cas de rattrapage sur une culture,
– raisonner les programmes de façon globale et continue sur la rotation en faisant appel à des produits de mode d’action différents d’une culture à l’autre.
Connaître les modes d’action des herbicides
Une classification internationale des herbicides par mode d’action et site d’action a été mise au point par le HRAC (Herbicide Resistance Action Committee) et WSSA (Weed Science Society of America). Chaque groupe de mode d’action est codé par un chiffre ou une lettre de l’alphabet.
Tous les produits d’un même groupe sélectionnent les individus résistants à ce mode d’action quelle que soit la culture sur laquelle ils sont utilisés. Employer des produits d’un même groupe, c’est comme utiliser toujours le même produit !
La vigilance reste de mise, et il est légitime de nourrir quelques craintes face au rétrécissement de la gamme d’herbicides à la portée des producteurs. Pour sauver un maximum de molécules intéressantes pour l’agriculture dans les autres périmètres et régions jusqu’à présent non concernés par la résistance, une utilisation prudente des herbicides disponibles est plus que jamais nécessaire.
Tableau. Herbicides devenus inefficaces sur les populations de ray grass résistant aux herbicides dans les périmètres de Doukkala et de Tadla.
Groupe HRAC | Site d’action | Famille chimique | Matière active | Groupe
WSSA |
A | Inhibition de l’acétyle coenzyme A carboxylase « ACCase » |
Aryloxyphénoxy-propionates « fops » |
clodinafop-propargyl diclofop-methyl fluazifop-P-butyl haloxyfop-R-methyl propaquizafop quizalofop-P-ethyl |
1 |
Cyclohéxanediones « dimes » | cycloxydime
tralkoxydime |
|||
Phenylpyrazolines « den » | pinoxaden | |||
B | Inhibition de l’acétolactate synthase « ALS » = acétohydroxyacid synthase AHAS) |
Sulfonylurées | iodosulfuron mésosulfuron |
2 |
Triazolopyrimidines | pyroxsulame | |||
Sulfonylaminocarbonyl-triazolinones | Flucarbazone-Na |
Tableau. Herbicides devenus inefficaces sur les populations de coquelicot résistant aux herbicides dans le périmètre de Tadla.
Groupe HRAC | Site d’action | Famille chimique | Matière active | Groupe
WSSA |
B | Inhibition de l’acétolactate synthase (ALS) = acétohydroxyacid synthase (AHAS) |
Sulfonylurées | iodosulfuron mesosulfuron metsulfuron-méthyle sulfosulfuron thifensulfuron-méthyle triasulfuron tribénuron-méthyle |
2 |
Triazolopyrimidines | florasulame flumetsulame pyroxsulame |
|||
Sulfonylaminocarbonyl-triazolinones | flucarbazone-Na | |||
O | Action semblable à celle de l’acide indole acétique (auxine synthétique) |
Acides phénoxy-carboxyliques | 2,4-D MCPA |
4 |
Acide benzoiques | dicamba |
Tableau des herbicides homologués pour le désherbage des céréales (blé, orge et triticale).
Herbicides | Sélectivité
aux cultures |
Efficacité sur adventices sensibles | Efficacité sur
adventices résistantes |
||||||||
Matière active (concentration) | Spécialité commerciale (dose) | Blé | Orge | Triticale | Brome | Alpiste | Ray grass | Avoine | Dico annuelles | ray grass | coquelicot |
Herbicides non sélectifs de pré-semis | |||||||||||
Glyphosate (360 à 720 g/l) | Plusieurs (1,5 à 3 L/ha) | ||||||||||
Glufosinate ammonium (150 g/l) | BASTA (5 L/ha) | ||||||||||
Paraquat (180 à 200 g/l) | OMNIQUAT, GRAMOXONE (3 L/ha) | ||||||||||
Herbicide anti-graminée de pré-levée | |||||||||||
Prosulfocarbe (800 g/L) | BOXER (5 L/ha) | ||||||||||
Herbicides anti-graminées de post-levée | |||||||||||
Clodinafop (80 à 240 g/l) | BRUMBY (750 ml/ha), MILVIN (750 ml/ha), PIKTO (750 ml/ha), RUBAH (750 ml/ha), TALLIS (250 ml/ha), TOPIK (750 ml/ha) | ||||||||||
Clodinafop (22,5 g/l)
+ Pinoxaden (22,5 g/l) |
TRAXOS (1,2 L/ha) | ||||||||||
Diclofop méthyle (360 g/l) | ILLOXAN (2,5 L/ha) | ||||||||||
Diclofop méthyle (250 g/l)
+ Fénoxaprop-p-éthyle (20 g/l) |
DOPLER (2 L/ha) | ||||||||||
Fénoxaprop-p-éthyle (64 g/l)
+ Iodosulfuron (8 g/l) |
HUSSAR (1 L/ha) | ||||||||||
Flucarbazone (70%) | EVEREST (43 g/ha) + TREND 200 ml/ha | ||||||||||
Mésosulfuron (0,6%)
+ Iodosulfuron (3%) |
ATLANTIS (500 g/ha) | ||||||||||
Mésosulfuron (7,5 g/l)
+ Iodosulfuron (7,5 g/l) |
COSSACK (1 L/ha) | ||||||||||
Pinoxaden (45 g/L) | AXIAL (0,8 L/ha) | ||||||||||
Pyroxsulame (45 g/l) | PALLAS (500 ml/ha) | ||||||||||
Sulfosulfuron (75%) | APYROS (26,6 g/ha) + MIROWET (0,5 L/ha) | ||||||||||
Tralkoxydime (250 g/l) | MAJOR (1 L/ha) + ATPLUS (1/ha) |
couleur verte : utilisation recommandée sur les cultures et les adventices mentionnées, efficacité bonne à excellente.
couleur rouge : utilisation déconseillée sur les cultures et les adventices mentionnées, efficacité faible à nulle.
Tableau des herbicides anti-dicotylédones homologués pour le désherbage des céréales (blé, orge, triticale et avoine)
Herbicides | Efficacité sur adventices dico annuelles sensibles | Efficacité sur
le coquelicot résistant aux herbicides |
|
Matière active (concentration) | Spécialité commerciale (dose) | ||
Aminopyralid (30%) + florasulame (15%) | LANCELOT (33 g/ha) | ||
Dicamba (120 g/l) + 2,4-D (344 g/l) | DIALEN SUPER (1 L/ha) | ||
Florasulame (75 g/l) + Flumetsulame (100 g/l) | DERBY (50 ml/ha) | ||
Florasulame (6,25 g/l) + 2,4-D (300 g/l) | MUSTANG (600 ml/ha) | ||
Metsulfuron (20% à 60%) | DEFT (30 g/ha)
METRO (30 g/ha) METSY (30 g/ha) MEZZO (30 g/ha) STARKEM (10 g/ha) TARZAN (10 g/ha) TIVMETIX (200 ml/ha) |
||
Triasulfuron (4,1%) + Dicamba (65,9%) | LINTUR (150 g/ha) | ||
Tribénuron méthyle (75%) | DICOSTAR (12,5 g/ha)
GRANSTAR (12,5 g/ha) |
||
Thifensulfuron (50%) + tribénuron (50%) | HARMONY EXTRA (20 g/ha) | ||
2,4-D ester ethylène hexyl | EL CAOUI 600 (600 ml/ha)
EL CAOUI 480 (750 ml/ha) EL CAOUI 240 (1,5 L/ha) |
||
2,4-D ester butylglycol | ELAFRIT 200 (2 à 3 L/ha)
ELAFRIT 480 (0,8 à 1 L/ha) EL CAOUI EXTRA 510 (750 ml/ha) MATON 600 (600 ml/ha) MENJEL 240 (2 L/ha) NETAGRONE 600 (600 ml/ha) |
||
2,4-D ester isoctylique (480 g/l) | EL GHOUL (1 L/ha) | ||
2,4-D ester (200 g/l) | CHEVAL ET LION 200 (2 à 3 L/ha) | ||
2,4-D sel d’amine | AMINOPIELIK 600 (1,25 L/ha)
CALIDICOTE 720 (600 ml/ha) DAM 400 (1 L/ha) ESBOULA 720 (1,2 L/ha) HERBOXONE 500 (1 L/ha) MEGA 2,4-D 860 (500 ml/ha) SELECTONE 550 (1 L/ha) |
||
2,4-D sel diméthylamine | CEREPRANE 480 (750 ml/ha)
EL CAOUI 720 (600 ml/ha) TORO 720 (600 ml/ha) |
||
2,4-D + MCPA | AGROXONE 240 + 240 (1,25 L/ha)
AL FAHD MIX 240 + 240 (1,25 L/ha) HERBOXONE COMBI 250 + 250 (1 L/ha) HORMA 275 + 275 (1 L/ha) PRINTAZOL 330 + 285 (1 L/ha) U 46 COMBI FLUID 350 + 300 (0,8 L/ha) |
couleur verte : utilisation recommandée sur les cultures et les adventices mentionnées, efficacité bonne à excellente.
couleur rouge : utilisation déconseillée sur les cultures et les adventices mentionnées, efficacité faible à nulle.