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Phytosanitaire : Adjuvants pour herbicides

Adjuvants pour herbicides : quel additif pour quelle situation ?

 

Prof. Mohamed BOUHACHE

Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II, Rabat

 

Les agriculteurs accordent une grande importance au choix de l’herbicide mais n’attachent pas forcement la même attention à l’adjuvant à utiliser. Pourtant, les adjuvants n’améliorent pas tous de la même façon les performances des traitements. Ainsi, le choix d’un adjuvant doit être basé essentiellement sur sa fonctionnalité, l’herbicide à utiliser, la flore cible, la culture et les conditions climatiques. En absence de toute indication, sur le prospectus de l’herbicide, concernant l’adjuvant à utiliser, les agriculteurs et même les agents de développement tâtonnent et trouvent des difficultés à choisir ou à recommander l’adjuvant qu’il faut pour chaque situation.

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Action et rôle des adjuvants

 

Dans le processus de l’application d’un herbicide, les adjuvants activateurs et/ou utilitaires vont agir à trois niveaux différents :

 

  • Avant la pulvérisation, au moment de la préparation (c’est-à-dire dans la cuve). A ce niveau, les adjuvants ajoutés ont pour rôle l’amélioration de la qualité de la bouillie. Ainsi, tous les adjuvants qui permettent de maintenir les propriétés physico-chimiques d’une bouillie dans des plages optimales sont utilisables. De ce fait, on fait appel aux agents de compatibilité (ou homogénéisation), stabilisants, anti-mousses, acidifiants, correcteurs de la qualité d’eau etc. Le type de contrainte technique posée et/ou la recommandation du fabricant quant à l’utilisation de l’herbicide choisi imposent le type d’adjuvant à mettre dans la cuve.

 

  • Pendant la pulvérisation, entre la buse et la plante traitée. Les adjuvants utilisés visent à améliorer la qualité de pulvérisation. Cette phase est déterminante dans un traitement. Ce qui suppose d’abord que le matériel de traitement est bien adapté et calibré ou réglé. Par la suite, certains adjuvants peuvent être ajoutés pour permettre l’amélioration de la structure des jets de pulvérisation, la réduction du nombre de gouttelettes très fines, l’homogénéisation de la taille des gouttelettes et la réduction du risque d’évaporation des gouttelettes avant leur impact sur la surface traitée. Ainsi, les adjuvants antidérive et les huiles peuvent jouer ce rôle.

 

  • Après la pulvérisation, au niveau de la cible traité (au contact des plantes traitées). C’est une phase cruciale dans le processus de traitement. Ainsi, pour être efficace, un herbicide de contact ou systémique doit être au contact (le plus long possible) avec la surface des feuilles traitées et traverser (le plus rapidement possible) toutes les barrières imposées par la cuticule (couche couvrant les feuilles et les tiges). La levée de ces contraintes est possible en utilisant les adjuvants ayant pour fonction d’augmenter la rétention des gouttelettes et leur étalement (grande surface de contact),  améliorer la pénétration des herbicides systémiques (augmenter la quantité de matière active absorbée par la plante et accélérer cette absorption), limiter le dessèchement trop rapide des gouttelettes et enfin rendre ces dernières résistantes au lessivage par l’eau de la pluie ou d’irrigation (cas de l’aspersion). Ces actions ou rôles sont les spécificités (par excellence) des mouillants (tensio-actifs ou surfactants), les huiles et les engrais azotés.

En pratique, il y a des adjuvants qui sont utilisables à un, à deux ou à trois niveaux de processus de traitement. Ainsi, la connaissance de mode d’action d’un adjuvant est indispensable pour savoir à quelle phase de traitement l’adjuvant choisi sera utile pour lever les contraintes techniques posées ou corriger les conditions de traitement défavorables.

Toxicité des adjuvants

 

Les définitions qui qualifient les adjuvants de produits dépourvus d’activité biologique ou produits inertes laissent croire, par beaucoup d’utilisateurs de cette catégorie de produits chimiques, que les adjuvants ne sont pas phytotoxiques. C’est vrai que les effets secondaires négatifs de beaucoup d’adjuvants sont négligeables et/ou éphémères. Par contre d’autres ont des effets prononcés et persistants. Les mouillants peuvent avoir un effet stimulateur ou inhibiteur de la croissance et du processus métabolique des systèmes biologiques. Le type d’effet est déterminé par la nature de la plante traitée, la composition chimique, la concentration et la dose du mouillant utilisé. Les effets bénéfiques des mouillants recherchés sont obtenus à une concentration oscillant entre 0,01 et 0,1% (poids/volume). Par contre, l’effet toxique sur les plantes est observé lorsque le mouillant est utilisé à concentration supérieure à 0,1%. A une concentration inférieure à 0,001%, les mouillants non-ioniques manifestent un effet stimulateur. Plusieurs études ont démontré que les mouillants affectent la germination, la croissance et le métabolisme (changement des propriétés des membranes cellulaires et dénaturation des protéines) des plantes traités.  Les adjuvants appliqués directement au sol (traitement de prélevée) ou tombés sur le sol pourraient avoir des effets négatifs (ou néfastes) sur les microorganismes du sol (surtout bactéries et champignons). La faune des milieux aquatiques (surtout les poissons) n’est pas épargnée par les adjuvants comme souligné par certaines études. Il parait que les doses /concentrations des adjuvants recommandées pour usage agricole sont négligeables pour causer une toxicité chez les humains et les mammifères. Ainsi, il est temps que notre réglementation prenne en considération le dossier toxicologique des adjuvants dans la procédure de leur homologation.   

 

Adjuvants utilisables au Maroc

 

Avec neuf mouillants et six huiles, les agriculteurs marocains disposent de 15 adjuvants homologués pour améliorer les performances des herbicides choisis. Le type, la composition, les propriétés et la dose de ces adjuvants ainsi que les sociétés distributrices sont consignés dans le tableau 2. Les mouillants non ioniques sont au nombre de 8 (53%) et dominent les adjuvants. Ils sont d’ailleurs beaucoup utilisés et compatibles avec beaucoup de pesticides. Ils ont pour fonctionnalité l’augmentation de la rétention et l’étalement des herbicides pulvérisés sur les plantes cibles. Trois d’entre eux (Heliosol, Liberate et Li-700) ont en plus d’autres fonctions telles que la pénétration, l’acidification et la limitation de la dérive. Spartan est le seul représentant des mouillants cationiques. Cette catégorie de mouillants est beaucoup recommandée pour les bouillies à base du glyphosate. Les mouillants cationiques sont de bons bactéricides et anticorrosifs. Trois huiles d’origine végétale et trois autres d’origine minérale constituent la catégorie des huiles commercialisées au Maroc. Ces huiles sont essentiellement utilisables pour favoriser l’étalement et la pénétration des herbicides. Elles sont utilisées dans le cas ou les conditions de traitement sont difficiles (sécheresse, forte infestation) et elles sont recommandables pour les herbicides antigraminées de post-émergence. Il est à signaler que plusieurs adjuvants listés peuvent être aussi utilisables avec d’autres pesticides (insecticides et fongicides) et régulateurs de croissance.

Bien que la législation marocaine ne reconnaisse pas les engrais azotés et l’acide sulfurique comme additifs ayant des fonctions d’amélioration de l’efficacité des herbicides, ces produits sont largement utilisés par les agriculteurs. L’acide sulfurique est utilisé comme adjuvant utilitaire acidifiant. Cependant, le sulfate d’ammonium est utilisé en tant que  correcteur de la dureté de l’eau, acidifiant et humectant. Les nitrates d’ammonium et l’urée pourrait être aussi utilisés comme adjuvants humectant.

 

 

Tableau 2: Les adjuvants homologués au Maroc (Index Phytosanitaire Maroc, 2015)

Produits Composition (concentration) Propriétés Type Dose /ha Société
Actirob B Huile de colza estérifiée (842g/L) Etalement, Pénétration Huile 2,5 L Bayer SA
Arado Huile de colza estérifiée (636g/L) Etalement, Pénétration Huile 1,0 L Promagri
Atplus 463 Huile minérale parafinique (540g/L) Etalement,

Pénétration

Huile 0,4 L/hl Marbar Chimie
Codacide oil Huile de colza (95%) Etalement,

Pénétration

Huile 1,0 L Agrimatco
Golden Mirowet Nonyl phénol polyglycol ether (525g/L) Rétention,

Etalement

 

Mouillant non ionique 100 à 120 cc/hl Alfachimie
Heliosol Alcools terpéniques

(665 g/L)

Rétention,

Etalement,

Fixation,

Pénétration

Anti-dérive

Acidifiant

Mouillant non ionique 200 cc/hl Univers Horticole
Liberate Lécithine de soja (488 g/L) Rétention,

Etalement,

Pénétration,

Anti-dérive,

Acidifiant

Mouillant non ionique 1,0 L Promagri
Li 700 Lécithine de soja (355 g/L) Rétention,

Etalement,

Pénétration,

Anti-dérive,

Acidifiant

Mouillant non ionique 0,5 /Lhl Kemagro
Oleo Huile minérale parafinique (940 g/L) Etalement,

Pénétration

Huile 0,5 L/hl SAOAS
Seppic 11E Huile blanche de pétrole (489 g/L) Etalement,

Pénétration

Huile 0,5 L Agrimatco
Silwet Gold Polyalkyleneoxide heptamethytrisiloxane

(800 g/L)

Rétention,

Etalement

Anti-dérive

Mouillant non ionique 15 cc/hl CPCM
Spartan

(= Bellagio)

Polyoxyéthylène d’amine grasse (500 g/L) Rétention,

Etalement

 

Mouillant cationique 100 cc/hl SAOAS
Tenon 1-octyl-2-pyrrolidone

 (100 g/L)

Rétention,

Etalement,

Pénétration

Mouillant non ionique 50 cc/hl Marbar Chimie
Transit Lécithine de soja (355 g/L) Rétention,

Etalement,

Pénétration,

Anti-dérive,

Acidifiant

Mouillant non ionique 0,5 L/hl Arzak Seeds
Trend 90 Alcool isodecylique

(900 g/L)

Rétention,

Etalement

 

Mouillant non ionique 0,1 L/hl Agrimatco

 

 

Critères de choix des adjuvants

 

Beaucoup d’agriculteurs ne sont pas familiarisés avec les adjuvants. Ainsi, il est très fréquent de se trouver dans des situations ou les retombés de l’utilisation d’un ou plusieurs adjuvants sont négligeables ou presque absents. En cherchant les éventuelles causes de cette défiance technique, on s’aperçoit que le recours aux services de l’adjuvant n’est pas du tout justifié ou le choix de son type n’était pas judicieux pour lever la contrainte technique observée. Effectivement, en absence de toute recommandation (du fabricant de l’herbicide) sur le prospectus de l’herbicide choisi, les agriculteurs sont livrés à eux même et tâtonnent. Parfois, ils trouvent la solution simple et rapide en imitant leurs voisins en achetant le même adjuvant. A l’instar des herbicides, le choix des adjuvants doit être fait et/ou raisonné sur la base de certains facteurs ou critères pour sécuriser l’efficacité d’un traitement phytosanitaire. Parmi ces facteurs nous citons :

  • L’étiquette ou prospectus de l’herbicide : c’est la première base de sélection d’un adjuvant. Le fabricant inclue certains adjuvants (co-formulants) dans la formulation pour garantir la sélectivité et l’efficacité de l’herbicide. Ainsi, l’agriculteur peut s’en passer des additifs. Parfois, le fabricant peut recommander (pour certaines conditions) l’ajout d’un adjuvant spécifique ou un type d’adjuvant (mais sans précision) pour sécuriser le traitement.
  • La flore adventice à contrôler : la nécessité d’ajout d’un adjuvant dépend de la mouillabilité des espèces et le port de feuilles (Figure 1). La mouillabilité des feuilles est déterminée par le degré de pilosité et le dépôt des cires épicuticulaires à la surface des feuilles. Le port de feuilles influe beaucoup sur la rétention des gouttelettes de bouillie sur les feuilles. Ainsi, la rétention est faible chez les espèces à port dressé. En général, l’adjuvant n’a pas d’intérêt pour les dicotylédones (mouillables et ont un port étalé). Par contre, il est recommandé pour les graminées (peu mouillables (pilosité) et ont un port dressé.

A                      B                   C

Figure 1: Effet de la pilosité et l’angle de la feuille sur sa mouillabilité. A : feuille glabre et inclinée (glissement des gouttes), B : Forte pilosité (faible pénétration), C : faible pilosité (pénétration favorisée) (Guide culture 2012 -13, chambre d’agriculture de Niève, France)

 

  • Le stade des adventices : plus le stade d’une plante est avancé, plus la pénétration de l’herbicide pulvérisé est défavorisée à cause de l’épaississement de la cuticule et/ou de développement des cires épicuticulaires à la surface des feuilles (Figure 2). Les huiles sont beaucoup indiquées comme adjuvants pour dépasser ce problème.

Figure 2 : Effet de l’épaisseur de la cuticule sur la pénétration des herbicides (Guide culture 2012 -13, chambre d’agriculture de Niève, France)

 

  • L’herbicide utilisé : la composition chimique, la formulation et le mode d’action d’un herbicide sont déterminants quant au choix de l’adjuvant avec qui l’herbicide choisi sera combiné. Pour maximiser l’efficacité, certains herbicides nécessitent l’ajout d’adjuvants tandis que d’autres sont performants sans les doper avec ces additifs (Tableau 3). Les herbicides de contact ont besoin des adjuvants qui augmentent leur recouvrement et leur rétention. Tandis que certains adjuvants sont déconseillés pour une catégorie d’herbicides. C’est le cas  des huiles pour les phytohormones comme 2,4D, MCPA, Dicamba etc. (perte de sélectivité).

   

    Tableau 3 : Effet des adjuvants sur l’efficacité (%) du Pallas sur les graminées (Bouhache et Taleb, 2015)

Herbicide Adjuvants Adventices*
Ray-grass (mouillable) Brome (peu mouillable)
Pallas (0,5 L/ha) 96 96
Pallas (0,5 L/ha) Heliosol (1,0 L/ha) 97 96
Pallas (0,5 L/ha) Li-700 (1,0 L/ha) 97 96
Pallas (0,5 L/ha) Nitrate d’ammonium 33% (1 Kg/ha) 96 95
Pallas (0,5 L/ha) Sulfate d’ammonium  21% (5 kg/ha) 97 95

*Traitées au stade 3 feuilles

 

  • Les conditions pédoclimatiques : sont prises en considération celles qui règnent au moment et après le traitement. Souvent, les adventices sont soumises à un stress hydrique ou traitées dans des conditions climatiques qui ne sont pas optimales (température, humidité relative de l’air, vent etc.). Ainsi, l’utilisation d’un ou plusieurs adjuvants (huiles pour les plantes stressées, humectants pour une humidité faible et anti dérives dans les conditions ventées) s’impose pour lever la contrainte de traitement.
  • L’eau de bouillie : la connaissance de la qualité de l’eau de bouillie (pH, dureté, alcalinité et turbidité) est nécessaire pour faire des corrections qui s’imposent avant de mettre l’herbicide dans la cuve. L’engrais à base de sulfate d’ammonium (21%) est bien indiqué pour corriger et stabiliser la qualité de l’eau à utiliser.
  • Le prix de l’adjuvant : c’est un facteur à considérer, surtout si l’agriculteur a le choix entre plusieurs adjuvants ayant la même fonction ou entre adjuvants ayant plus de matière active ou de services pour le même prix.

Souvent l’agriculteur est appelé à utiliser plusieurs adjuvants dans la même cuve pour résoudre plusieurs problèmes techniques qui pourraient hypothéquer le résultat final de l’opération de désherbage. Dans ce cas, le choix des adjuvants à ajouter n’est pas suffisant, mais l’ordre d’introduction des adjuvants est aussi très important et même parfois déterminant. Comme règle générale, il faut toujours commencer par les adjuvants correcteurs de la qualité d’eau ou de compatibilité, suivis des mouillants et enfin des huiles.

 

Ce qu’il faut retenir 

 

Les adjuvants sont des additifs apportés par l’agriculteur pour améliorer les performances d’un herbicide ou réduire sa dose. Dans le processus de l’application d’un herbicide, les adjuvants activateurs et/ou utilitaires vont agir à trois niveaux différents : dans la cuve, à la sortie de la buse et au contact avec la surface de la plante traitée. Les effets secondaires négatifs de beaucoup d’adjuvants sont négligeables ou éphémères. Par contre, d’autres ont des effets apparents et persistants. Selon la dose utilisée, les mouillants peuvent avoir un effet stimulateur ou inhibiteur de la croissance et du processus métabolique des systèmes biologiques. En plus de l’acide sulfurique (acidifiant) et du sulfate d’ammonium, les agriculteurs marocains disposent de 15 adjuvants homologués pour herbicides et dont les mouillants constituent la grande majorité. En absence de toute recommandation du fabricant de l’herbicide, le choix de l’adjuvant à ajouter doit être fait sur la base de certains facteurs pour appliquer l’herbicide dans des conditions optimales et sécuriser l’efficacité de l’opération de désherbage chimique. Dans le cas ou l’agriculteur devrait ajouter plusieurs adjuvants dans la même cuve, l’ordre d’introduction des ces adjuvants est très important et même parfois déterminant.

 

 

 

 

 

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