L’acidité des clémentines,
une qualité menacée
La clémentine est un fruit hybride entre le mandarinier et l’orange douce caractérisé par son absence de pépins, sa facilité d’épluchage et son côté plus acidulé que la mandarine. Mais depuis quelques années, les chercheurs ont noté une diminution de l’acidité des clémentines. Une atténuation sur laquelle se penchent les experts de l’Inra en France qui ont constaté que les clémentines de Corse sont en train de perdre de leur acidité, une perte d’identité regrettable (IGP).
Sur la station expérimentale de San Giulliano en Corse, les scientifiques étudient environ 70 variétés de clémentines. Avec 1100 espèces et variétés, la station de recherche possède une des plus grandes collections au monde.
Le réchauffement en cause
« Le réchauffement climatique a un réel impact sur les clémentines qui perdent en couleurs et en acidité» explique Olivier Pailly le directeur de l’unité de recherche sur les agrumes de l’Inra. En se penchant sur les mécanismes de la photosynthèse et de la respiration du fruit, les scientifiques se sont aperçus que les hausses des températures pendant la maturation du fruit, en automne, au moment où la lumière – nécessaire à la photosynthèse – baisse, accélèrent la respiration du fruit et entrainent une surconsommation d’énergie. Le fruit en vient alors à puiser dans ses réserves d’acide citrique.
Stocks d’acides
Olivier Pailly ajoute : « Rois de l’accumulation des acides, les agrumes stockent dans leurs cellules des sacs à jus très acides qui peuvent atteindre un pH extrêmement bas de 2,2 à 2,3. Le pH du cytoplasme des cellules est proche de la neutralité (pH7) soit 100 000 fois moins acide ! Si ces sacs éclataient, ils entraineraient la mort de la cellule ! Tout au long de sa croissance et jusqu’à fin août, la clémentine accumule cette acidité qu’elle consommera ensuite partiellement avant sa maturation complète. »
Surconsommation d’énergie
Les chercheurs ont décelé une diminution de l’acidité et des couleurs du fruit, liée semble-t-il au réchauffement du climat. Les hausses des températures en automne, époque de maturation du fruit, accélèrent la respiration du fruit et entraînent une surconsommation d’énergie. Le fruit en vient à puiser dans ses réserves d’acide citrique, et à perdre son signe distinctif. La corrélation climat-acidité est connue : sous la douceur d’un climat tropical, les agrumes sont moins acides.
L’acidité, support d’arômes
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’acidité est une qualité de l’agrume. L’appellation Clémentines de Corse (IGP : Indication Géographique Protégée) exige d’ailleurs que le fruit affiche un caractère dit acidulé : son taux d’acidité doit être supérieur ou égal à 0,85, contre 0,65 pour une clémentine classique. Raison « objective » de primer l’acidulé : l’acidité est un support des arômes, arômes mieux perçus si le fruit n’est pas trop sucré.
Une parade, la culture en bio
Pour pallier la baisse d’acidité des clémentines, les scientifiques de l’Inra explorent les résultats de culture de ces fruits dans le monde pour trouver des variétés plus acides et plus tardives qui pourraient être des alternatives. Ils étudient aussi l’influence des pratiques des arboriculteurs sur l’acidité des fruits qui semblent avoir un effet sur le taux d’acidité. « On se rend compte que les vergers en agriculture biologique produisent des fruits plus acides, que certaines fertilisations potassiques favorisent l’acidité, que l’irrigation a aussi un impact très important ». « Nous réalisons un diagnostic agronomique régional sur plus d’une vingtaine de parcelles de clémentiniers de l’AOP Clémentines Corses. Nous analysons le sol, le climat, les techniques de l’arboriculteur… et l’acidité finale des fruits pour comprendre les leviers agronomiques pour mieux maîtriser l’acidité des fruits. »
Le but des chercheurs : « Si les changements climatiques s’accentuent nous serons alors capables de proposer plus rapidement des variétés plus adaptées » conclut Olivier Pailly.
Un fruit du hasard
La clémentine a été découverte au XIX° siècle, en Algérie, à Misserghin, dans un orphelinat tenu par le père Clément, chef des pépiniéristes. Il remarqua un mandarinier différent, qui était en fait le croisement accidentel d’un mandarinier et d’une variété d’orange. La « clémentine de Corse » (Citrus clementica) est une variété sans pépins, à feuilles, rouge orangé avec une partie verte. Comme tous les agrumes, elle est riche en vitamine C, caroténoïdes, et polyphénols (agents antioxydants réputés pour leurs vertus anti-vieillissement…).
Bernard Duran
Les agrumes ont leur préférence climatique !
Un programme de recherche de deux ans sur les agrumes méditerranéens a été lancé par le Cirad et la société Agro’Novae (entreprise d’agroalimentaire) avec l’objectif d’étudier l’influence des origines géographiques sur les microconstituants nutritionnels des agrumes et fabrication d’extraits d’agrumes enrichis en ces composés.
Le projet est parti d’une thèse sur les agrumes et de l’effet des origines géographiques sur leur teneur en caroténoïdes. Car si l’influence du climat (fortes fluctuations de températures jour/nuit comme en Corse) est bien réelle sur la couleur de la peau des agrumes (meilleure synthèse des pigments caroténoïdes et fruits plus colorés), ces données intéresseraient-elles également la pulpe du fruit ?
C’est la question qui amenait les scientifiques du projet à une étude sur la comparaison entre les teneurs en caroténoïdes d’agrumes génétiquement identiques, cultivés sous des climats tropicaux puis méditerranéens. Une fois l’influence géographique démontrée sur la composition du fruit, une deuxième phase du projet permettra la fabrication d’extraits et produits à valeur nutritionnelle ajoutée.
Les oranges, clémentines et pomelos contiennent des microconstituants comme les caroténoïdes mais aussi les polyphénols (en particulier l’hespéridine) qui est responsable de nombreux effets santé. Les caroténoïdes sont précurseurs de vitamine A qui joue un rôle essentiel en santé humaine (vision, croissance osseuse, reproduction). Ce sont aussi des molécules dont les propriétés biologiques participeraient à la prévention de certains cancers et maladies cardiovasculaires.
Ce potentiel nutritionnel suscite un fort intérêt pour l’élaboration d’extraits naturels d’agrumes enrichis en ces microconstituants. Des procédés physiques de séparation par filtration sans adjonction chimique et respectueux de la richesse nutritionnelle du fruit, actuellement à l’étude. C’est un enjeu majeur pour la production industrielle d’aliments-santé.
Autres effets des changements climatiques
Le climat du Maroc a beaucoup changé durant les six dernières décennies. En effet, les années sont devenues plus sèches avec moins de précipitations et avec des épisodes de fortes chaleurs atteignant plus de 48 °C dans certaines localités de production agrumicoles comme le Souss. Ces vagues de chaleurs sont souvent associées de baisse considérable de l’humidité de l’air (avec des minimas inférieurs à 10% pendant plusieurs heures de la journée) avec des vents desséchants ce qui se traduit par un déficit de pression de vapeur élevé entre la feuille et l’air qui l’entoure (donc une demande climatique élevée). Ces condition sont un impact négatif sérieux sur la physiologie générale des arbres se traduisant par une fermeture des stomates des feuilles (et donc arrêt de la photosynthèse et de la transpiration qui est un élément essentiel pour la régulation de la température de la feuille et le transport des éléments nutritifs) et une brûlure des fruits et leur chute. L’impact est encore plus grave si ces chaleurs coïncident avec la période de floraison-nouaison-grossissement, le cas de l’année 2012 et de cette année 2015. En 2012, les effets ne se sont pas limités aux chutes de fruits qui étaient massives mais même les fruits qui sont restés sur les arbres n’ont pas bénéficié de la faible charge des arbres du point de vue calibre, et leur teneur en jus était souvent jugée non satisfaisante et leur peau grossière et rugueuse. Cependant, certaines variétés (la Maroc late et la Washington sanguine en particulier) ont résisté plus que d’autres (Nova, Lane late ont été les plus affectées) et les plantations qui étaient greffées sur certains porte-greffes comme le Citrus macrophylla (connu pour sa résistance à la sècheresse) ont mieux résisté que celles qui étaient sur d’autres porte-greffes comme les Citranges.
Source : Prof. Mohamed EL-OTMANI, IAV Hassan II – CHAgadir
Histoire génétique des agrumes :
une aide précieuse pour créer de nouvelles variétés
Des scientifiques du monde entier se sont associés pour décrypter le génome d’une dizaine d’agrumes et ainsi reconstituer l’histoire de leurs multiples croisements. Fédérés au sein du Consortium international de génomique des agrumes, leurs résultats ont fait l’objet d’une publication dans Nature Biotechnology. Ces résultats sont décisifs pour sélectionner de nouvelles variétés à la fois résistantes aux maladies et adaptées au changement climatique.
Des connaissances pour exploiter la biodiversité naturelle
Les agrumes sont les fruits les plus vendus au monde, mais sont aussi très vulnérables aux infections et aux contraintes abiotiques (notamment les stress hydrique et salin, particulièrement prégnants dans le cadre du changement climatique). En cause, la faible diversité génétique des principales espèces cultivées qui sont exclusivement reproduites par multiplication végétative. La connaissance fine de leur structure phylogénétique est capitale pour créer de nouvelles variétés. C’est ce que révèle l’un des trois chercheurs du Cirad coauteurs des résultats : ” il existe des tolérances aux maladies et aux stress abiotiques au sein de la biodiversité des agrumes. Nos résultats vont nous aider à développer, par amélioration conventionnelle, des variétés cumulant des facteurs de résistance et d’adaptation tout en respectant les qualités organoleptiques et nutritionnelles caractéristiques des différentes espèces cultivées. “
De l’urgence de créer de nouvelles variétés
Parmi les maladies pour lesquelles il existe des résistances naturelles, le chancre citrique a, par exemple, un impact économique très fort. Au Brésil, le coût d’arrachage des arbres contaminés est estimé à 10 millions de dollars par an dans le seul état de São Paulo. En parallèle, le changement climatique augmente les contraintes abiotiques de l’agrumiculture comme le déficit hydrique et le stress salin pour lesquels des sources d’adaptation sont d’ores et déjà identifiées. En outre, il accroît particulièrement les risques d’émergence de maladies tropicales dans le bassin méditerranéen.
Histoire d’un séquençage
Au départ, il a fallu établir la séquence génomique des neuf chromosomes d’un agrume. Le Cirad est à l’initiative du choix d’un clémentinier haploïde (un seul exemplaire de chaque chromosome) qui a permis de simplifier les analyses. Le Cirad a également coordonné l’établissement de la carte génétique de référence. Cette carte a contribué à assembler, un peu comme des pièces de puzzle, tous les morceaux de la séquence de référence dans le bon ordre. La séquence de référence a ensuite été comparée à celle de quatre autres mandarines, d’une orange, d’une orange amère et de deux pamplemousses. L’objectif étant de déterminer l’histoire des croisements qui ont abouti à ces variétés modernes. D’autres équipes internationales se sont concentrées sur la génomique fonctionnelle afin d’identifier les gènes codant pour des protéines et leurs fonctions.
Source: cirad.fr