La casside de la betterave au Gharb :
cycle de développement et stratégie de lutte
Prof. Hmimina M’hamed, IAV Hassan II, Rabat – hmimina@yahoo.fr
La casside (Cassida vittata Wild, Coleoptera, Chrysomelidae), dénommée localement Fakroun, Nhassia, Cassetta par corruption du mot casside, est répandue en Afrique du Nord, en Europe tempérée et méridionale et au Proche Orient. Les dégâts les plus importants sévissent plus particulièrement en Italie, en Espagne du sud, en Grèce, en Turquie, en Algérie et au Maroc où, plus précisément avant l’introduction de la betterave, elle vivait sporadiquement sur des Chénopodiacées spontanées. L’introduction de la betterave dans notre pays, conséquence immédiate de la diversification des cultures suite à la mise en valeur de grands périmètres agricoles irrigués, a conduit le ravageur à coloniser férocement cet hôte fraîchement implanté. Avant, la quantité de ressources était assurément le facteur limitatif des pullulations ; de petites populations soumises aux dures lois de la compétition subsistaient çà et là sans ostentation. Dans cet ordre d’idées, la conversion de quelques 20.000 ha en sole betteravière rien qu’au Gharb, y a entraîné naturellement l’installation et le développement de la Casside ; les sources d’infestation existaient déjà. Et c’est évidemment dans cette région que les premiers dommages du ravageur ont eu lieu et sont toujours observés d’une manière permanente et préjudiciable.
Cycle de la casside
La casside présente une diapause imaginale : cette particularité temporelle originale chez l’insecte et beaucoup d’autres arthropodes, influence la composition et l’organisation des populations. En plus de son rôle synchronisateur, ce mécanisme assure, avec la migration aller-retour des adultes qui l’accompagne, des concentrations d’individus remarquables. Ainsi, à tout moment du développement de la culture, les imagos y sont présents et se nourrissent peu ou prou des feuilles. Graduellement leur quantité se renforce pour culminer entre mi-février et début mars. Le deuxième pic d’activité, plus important, composé essentiellement de jeunes adultes formés sur place, a lieu la deuxième quinzaine de mai.
Le démarrage des premières pontes, très modestes d’ailleurs, accompagnées des premières éclosions larvaires s’observe vers le 10 février. Le pic de ponte et d’éclosion est constaté la deuxième décade de mars, et à tout moment, comme il est le cas des adultes puisque les uns procèdent des autres, on observe des œufs et des larves du premier âge sur la culture avec une réduction croissante de leur effectif jusqu’à début mai.
La formation de larves plus âgées prend place dès début avril, culmine vers mi-avril et se poursuit decrescendo jusqu’à l’arrachage. Il est évident que les larves à différents âges, fortement tributaires de l’hôte, surprises par la récolte soient perdues pour le cycle. Détachées de leur plante nourricière, elles meurent d’inanition sans pouvoir finir leur développement. Seules survivront les nymphes en raison de leur aphagie et les adultes qui s’épancheront alors sur toutes les parcelles adjacentes non récoltées encore. Cette information très importante permet d’appréhender les concentrations quasiment spontanées constatées sur des champs pourtant indemnes peu de temps avant, suite à l’arrachage des parcelles contiguës infestées ou mal traitées.
Au Gharb, en divers CDA, il est aisé de vérifier qu’à partir du 15 avril la présence d’imagos sur betterave s’affaiblit par rapport à ce qui a été observé avant et ce qui s’observera après. Mais, dès début mai, les populations imaginales grimpent et cette ascension s’accompagne d’un abaissement des larves et une absence de pontes. Un schéma moyen conventionnel et intégrateur paraît alors bien confirmé pour le grand Gharb. Nous le décrivons par une figure simulée fusionnant les diverses données accumulées dans les quatre zones objets de nos observations (Allal Tazi, Sidi Slimane, Ksiri et Loukkos (Fig. 1).
Figure 1. Représentation figurée du cycle de la casside au Gharb-Loukkos
Nous avons tracé le cycle pour ainsi dire théoriquement, c’est-à-dire nous avons lissé par les courbes de tendance propre à chacune d’elles leur déroulement de manière à réduire l’embrouillement et les discontinuités de forme. A présent, plus concrètement, nous gagnerons à redire que les données cumulées concourent à la définition d’un cycle homodyname du ravageur dont il ressort les faits suivants :
– deux voutes d’imagos, l’une en début et l’autre en fin de cycle reliés entre elles par les tardifs de la première et les précoces de la seconde ;
– une sortie maximale des pondeuses et des mâles entre fin janvier et fin mars ;
– une activité de ponte et d’éclosion larvaire optimales durant mars et avril ;
– une poussée de larves dès fin février ;
– une formation de jeunes adultes dès début mai.
En termes plus pratiques encore, ce jeu de données, exprès défrisées par les courbes de tendance afin de les rendre plus opérationnelles, procure les précisions supplémentaires suivantes :
– les dégâts des adultes sévissent à deux périodes critiques que l’on peut définitivement fixer entre 20 janvier et fin février pour la première et 15 juin-20 juillet pour la seconde. Les dégâts de la vague estivale sont souvent plus évidents en raison des rassemblements des adultes sur les parcelles non récoltées avant leur émigration et la voracité qui accompagne la pré-diapause (constitution des réserves nécessaires au repos estival) ;
– les dégâts commis par les larves relayent ceux des imagos d’hiver, peu frappants, et, précèdent ceux des adultes qui en seront issus (adultes de printemps), c’est-à-dire les jeunes cassides en instance d’émigration, aux ravages parfois désastreux, mais tardifs.
En conclusion, l’étude réalisée dans la région du Gharb a permis de préciser avec certitude le cycle de l’insecte. Cette étape, extrêmement importante pour la conduite de la lutte, fixe le développement du ravageur à une génération. Nous avons beau multiplier les exemples, analyser parcelle par parcelle, date par date, les populations, dans chaque cas nous avons retrouvé le même constat qui symbolise l’unicité du cycle régional.
Ce monovoltinisme est rendu possible par la longue diapause imaginale qui est sous contrôle de la photopériode et dont la levée est assurée par les basses températures. Quelques individus formés précocement peuvent engendrer un semblant de deuxième génération, mais celle-ci demeure d’un aboutissement incertain, de faible effectif, donc d’une conséquence négligeable sur la production.
Les insectes en diapause, tout au moins ceux ayant constitué leurs réserves, c’est-à-dire ceux chez qui la dormance est bien installée, quittent les champs de betterave avec les premiers arrachages, donnant ainsi le coup d’envoi à une lente émigration vers des sites de repli ou d’estivation, qui s’étend sur toute la période de récolte. L’idée qui consiste à admettre la proximité de la canne comme une origine absolue de ré-infestation de la betterave n’est pas erronée. L’équivoque réside dans le fait de ne pas s’enquérir sur le cadre dans lequel se fait l’infestation des parcelles éloignées des champs de canne.
En s’appuyant sur le cycle établi, une certaine stratégie de lutte parait évidente. Dans l’hypothèse où les pullulations sont les plus dommageables, un maximum de 3 traitements bien positionnés subviennent aux besoins d’une protection convenable. L’hypothèse la plus favorable est 2 traitements, si toutefois les pullulations sont perçues suffisamment bien avant qu’elles aient commencé à faire des dégâts. Il va sans dire que le développement d’un réseau d’observations permanent est un moyen particulièrement adapté pour ceindre la propagation du ravageur et promouvoir la lutte raisonnée. C’est aussi un moyen de rationalité de la lutte, un rempart convaincant contre le gâchis et une garantie d’économie et de meilleure protection.