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Agrumes : Crise clémentine (interview d’un professionnel)

Agrumes

La crise actuelle, analysée par un professionnel averti

 

Interview de M. Youssef Jebha, Président de la coopérative Zaouia de conditionnement d’agrumes à Machahid.info

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Q : aujourd’hui on constate qu’il y a un problème de commercialisation des agrumes et spécialement la clémentine. A quoi imputez vous la chute des pris des agrumes dans le marché local ?

R : La problématique ne date pas d’aujourd’hui et a commencé il y a 4 à 5 ans (campagne 2011-12). C’est un problème connu de tous qui a été souvent abordé lors de réunions et le ministère a promis d’intervenir pour trouver des solutions. Seulement cette année est particulière puisque les prévisions à l’échelle nationale s’attendent à 2,3 Millions de tonnes et 820.000 t dans la zone du Souss massa soit une forte augmentation par rapport aux années passées. Cette augmentation est due à la stratégie du Plan Maroc Vert qui a beaucoup aidé les agriculteurs (irrigation, mécanisation, autres moyens de production), mais au niveau de la commercialisation le problème se pose de façon cruciale. D’une part il y a une crise mondiale relative à la consommation, dans les marchés traditionnels du Maroc (Canada, Russie, UE, …) qui vivent chacun des crises particulières. Ainsi la Russie est sous embargo européen, de même l’Amérique du Nord qui n’a pas atteint les espérances de la production marocaine.

Concernant les prix, au début de la campagne ils étaient à des niveaux corrects, mais dernièrement et suite aux fortes précipitations de novembre et décembre, ils ont fortement chuté. En effet, il faut savoir que la clémentine ne supporte pas ces niveaux de pluies et surtout lorsqu’elles surviennent à maturité, la qualité est fortement affectée et elles ne sont plus exportables. Ainsi, nous estimons que dans le Souss 30% de clémentines ne seront pas exportées.

 

Q : Des signaux précurseurs (augmentation des plantations, etc.) indiquaient qu’il y aurait une forte hausse de la production. Qu’ont donné les réunions entre professionnels, tenues pour une coordination entre les groupes exportateurs en vue de la prospection de nouveaux marchés ?

R : Cette situation était prévisible. Quand le contrat programme a été signé, les objectifs tablaient sur une production qui allait passer de 1,5 Mt à 3 Mt à l’horizon 2018 et faire progresser l’export de 450-500.000 t  à 1,3Mt. Aujourd’hui, on n’a pas réalisé les prévisions à l’export mais la production avance. Parmi les freins aux exportations : la chaine logistique et autres services, qui sont incapables d’absorber cette production. Les stations de conditionnement, les unités frigorifiques sont inadaptées. La clémentine a une durée très limitée, 2 mois à 2 ½ (oct à déc) au cours desquels il faut que toute cette production soit écoulée et ça nécessite des unités à fortes capacités dont nous ne disposons pas. Une grosse production nécessite de grands moyens. Ainsi, le transport terrestre est insuffisant, le transport maritime est handicapé par la faible capacité du port d’Agadir , lorsqu’un bateau procède au chargement un autre est en rade à attendre. Par ailleurs, la prospection de nouveaux marchés nécessite de nouveaux accords avec des pays consommateurs de ce produit. Par exemple, avec l’Amérique latine nous n’avons pas d’accords même si nous n’avons pas arrêté d’en faire la demande auprès des autorités compétentes (Onssa) pour établir un accord phytosanitaire permettant les échanges entre pays. De même, pour le Japon, l’Ukraine, etc. les discussions sont en cours, mais n’ont pas encore abouti. Pour l’Afrique aussi, si on veut suivre la politique royale qui permet l’installation de banques, sociétés et activités de tous genres, on se heurte à des barrières insurmontables. Ainsi, les douanes appliquent des taux très élevés et les frais de transport terrestre sont doubles par rapport à l’Europe. Par exemple un camion qui part du Souss, traversant toute la zone saharienne marocaine, la Mauritanie pour arriver au Sénégal coûte 35.000 dh alors que pour l’Europe il ne coûte que 20.000 dh. La douane coûte 90-100.000 dh alors qu’avec l’Europe et d’autres pays il existe des accords de libre échange. Ce sont là quelques exemples des entraves qui empêchent le développement des exportations vers d’autres pays.

 

Q : Ne voyez vous pas que les circuits intérieurs de distribution contribuent à dévaloriser le produit et influencent les prix sur le marché local ?

R : La région du Souss traite sa propre production (800.000 t) ainsi que 100-150.000 t en provenance des régions de Marrakech et Béni Mellal. Ainsi, sur les 2,3 Mt de production prévue cette année si nous exportons 550 à 600.000 t nous serons satisfaits. Le restant, soit 1,8 Mt, sera destiné au marché intérieur sachant que ce dernier est incapable d’absorber tous ces tonnages, vu le pouvoir d’achat du marché. Ainsi, aujourd’hui dans notre propre station à Guerdane, nous vendons les produits non exportés, respectant toutes les normes de qualité et de sécurité sanitaire, au prix de 15-20 centimes le kilo ! Et malheureusement ce même produit est commercialisé au détail à Agadir, Marrakech ou les villes avoisinantes à 3-4 dh. Il y une inadéquation quelque part et un manque d’organisation des circuits de commercialisation, le consommateur paie le prix cher et le producteur ne touche rien. La cascade d’intermédiaires fait que le chaos de la distribution agit directement sur les prix.

 

Q : Les différentes contraintes logistiques, commerciales, etc. qui entravent la commercialisation des agrumes ne devraient-elles pas faire l’objet de discussions entre la profession et les responsables pour trouver des solutions pour cette filière ?

R : Même si la région du Souss est mieux lotie que d’autres régions du pays, nous ressentons plus facilement la crise quand elle touche le secteur agricole qui est notre principale activité, principalement les agrumes. La problématique est que toute la chaine devrait évoluer : logistique, capacité de stockage, manutention et plus particulièrement le port d’Agadir qui doit être agrandi. Les discussions sont en cours mais la vitesse d’évolution du secteur privé est différente de celle du secteur public, en raison des contraintes qui lui sont propres (investissements, budgets, études …). Tout ceci prend beaucoup de temps alors que les producteurs sont prêts, et le produit ne peut pas attendre. Et comme dit le proverbe ‘‘il ne faut pas attendre que le loup soit dans la bergerie pour commencer la formation du chien de garde’’. Aujourd’hui, les producteurs sont au creux de la vague

 

Q : Les conditions de production dans la région du Souss n’affectent-elles pas la rentabilité de la production, sachant que les problèmes de manque d’eau rendent le produit plus cher par rapport à d’autres régions ?

R : Ça, c’est un autre problème. Quand on voit le coût de l’eau d’irrigation, il diffère selon les régions et l’eau qui revient pour certains à 50-80 cts/m3 est achetée beaucoup plus cher par d’autres. Ainsi, dans la région du Guerdane, nous achetons l’eau à la société distributrice à 1,80 dh/m3, dépassant 2,20 dh si on ajoute les frais des surpompage à partir des bassins de stockage pour l’irrigation goutte à goutte. Ainsi, rien que l’eau d’irrigation nous revient à plus de 20.000 dh par hectare alors que dans d’autres régions (Gharb, Béni Mellal), elle varie entre 3.000 et 9.000 dh par hectare au grand maximum. Cette particularité de la région du Guerdane en fait une zone très sensible, la première à être touchée et où on constate que nombre de producteurs abandonnent annuellement leurs vergers.

Il faut savoir que la commercialisation de la clémentine ne prend pas en compte la région et le coût de production. C’est le marché qui détermine le prix. La moyenne nationale est de 20t/ha et si, avec les efforts considérables que nous fournissons dans la région, on arrive à produire 30-35 t au grand maximum, et qu’on prenne en compte le cout de l’eau et de tous les intrants dont les prix ont fortement augmenté ces dernières années (la main d’œuvre a augmenté de 40% en 10 ans, les certifications phytosanitaires imposant le recours à des produits nouveaux importés et extrêmement chers, …), l’hectare revient par conséquent à 40-50 000 dh/an et avec 30 t/ha, le kilo revient à 2 dh/kg départ ferme (avant récolte) et presque le double si la production ne dépasse pas 20 t/ha, soit 4dh/kg, sachant que la cueillette coûte 35 cts/kg. La situation est intenable pour les producteurs.

 

Q : Au vu de ces problèmes de commercialisation à l’export et sur le marché intérieur, n’envisage-t-on pas au cours des réunions officielles, la création de marchés de gros régionaux à même de commercialiser dans de bonnes conditions un produit à haute valeur ajoutée

R : c’est un grand problème et les discussions à ce sujet sont très complexes et la question de l’organisation du marché intérieur se pose à toutes les occasions. Cette organisation implique une normalisation du produit. Le consommateur dans ces cas achète un produit de bonne qualité avec un calibre précis dans un emballage approprié. On n’aura plus un produits en vrac, avec ou sans feuilles, etc. dont on cache dans le fond de la caisse, la mauvaise qualité dissimulée par une couche de présentation impeccable. En outre, le marché local est géré par le ministère de l’intérieur et de nombreux intervenants d’où la difficulté d’imposer de nouvelles méthodes sur le marché. Sans oublier les intermédiaires, dont c’est le métier et la source de revenus et il est difficile de leur changer le mode de fonctionnement. Pour un tel bouleversement il faudrait que tous les intervenants (ministères, syndicats de commerçants, etc.) unissent leurs efforts pour mettre au point un système gagnant-gagnant dans lequel personne ne serait perdant : l’agriculteur, le commerçant et le consommateur.

 

Q : On parle de problèmes que pose le challenge entre grands groupes d’exportation qui dominent le marché de l’exportation ?

R : La compétition entre opérateurs pour exporter dans les meilleures conditions, le tonnage le plus élevé possible en s’accaparant la meilleure part de marché est une démarche légitime tant qu’elle se déroule dans la légalité et la transparence. Le problème commence si on bascule dans des procédés illégaux, comme par exemple baisser artificiellement les prix ou d’autres manœuvres illégales. Car tout ce qui est fait dans ce sens affecte directement l’agriculteur qui est le seul qui en paie les pots cassés, et personne d’autre. En effet, toutes les charges de la filière sont fixées : le transport maritime a un coût fixe, les commissionnaires sont payés à un taux défini, l’emballage a un prix fixe, l’ouvrier est payé quel que soit le prix de vente, … Tous ces intervenants sont payés dans tous les cas de figure, même si le produit ne rapporte rien. L’agriculteur doit alors se débrouiller et trouver des solutions (payer de sa poche, crédits, …) pour faire face à ses engagements. En définitive, c’est l’agriculteur qui est à la base de toute la chaine et les intervenants qui recourent à des méthodes le mettant en danger, devraient penser à lui aussi puisque c’est lui ‘‘l’amortisseur’’ qui reçoit tous les coups : la météo, le marché, les taux de changes et dévaluations, les interdictions, … c’est lui le premier à recevoir les coups. Il faudrait assurer un minimum de protection à l’agriculteur face à tout cet ensemble de risques si on veut qu’il poursuive de l’avant.

 

 

 

 

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