Irrigation déficitaire et mycorhization
Outils d’optimisation de l’irrigation
Razouk Rachid, Kajji Abdellah, Alghoum Mohammed, Bouichou El Houssain
INRA de Meknès
Dans les pays du pourtour méditerranéen, les ressources en eau sont limitées et inégalement réparties dans l’espace et dans le temps, notamment dans les pays de la rive Sud qui ne sont dotés que de 13% du total. La méditerranée dispose de moins de 1000 m3/habitant/an et la rareté de l’eau se fait sentir plus particulièrement dans les pays du Sud et de l’Est.
Constat alarmant
Les ressources sont déjà surexploitées en plusieurs endroits et l’augmentation des besoins en eau sera de plus en plus forte avec la croissance démographique et le développement de l’industrie. Au Maroc, la conjugaison de la raréfaction des ressources en eau et de l’accroissement démographique a pour conséquence une baisse de la dotation en eau par habitant, qui serait à l’horizon 2025 de l’ordre de 500 m3, alors qu’elle était de 745 m3 par habitant en 2012. Ceci fera passer le Maroc d’une situation de tension sur l’eau à une situation critique de pénurie d’eau. Face à cette situation, les pouvoirs publics marocains ont renouvelé leur stratégie de l’eau en 2010 qui vise globalement d’augmenter l’offre tout en maitrisant la demande. Les actions planifiées dans cette stratégie concernent essentiellement la construction de nouveaux barrages, le transfert de l’eau des bassins du nord vers les régions déficitaires, le développement de la recharge artificielle des nappes, l’exploration des nappes profondes, la préservation de la qualité de l’eau et la lutte contre sa pollution, le développement des ressources en eau non conventionnelles (réutilisation des eaux usées et dessalement de l’eau de mer) ainsi que le développement et la promotion des techniques économes d’eau en irrigation.
Bien connaitre les besoins des cultures
L’économie de l’eau d’irrigation exige au préalable une connaissance des besoins des cultures afin de développer une stratégie optimisée d’une irrigation déficitaire. Parmi les méthodes existantes pour le calcul des besoins en eau des cultures, celle du bilan hydrique reste la plus opérationnelle. Cette méthode consiste à calculer le déficit pluviométrique qui correspond à la différence entre l’évapotranspiration de la culture et la pluviométrie efficace. Cependant, les calculs nécessaires pour la détermination des besoins restent ignorés pour la plupart des agriculteurs, ce qui les amène souvent à pratiquer une irrigation déficitaire mal raisonnée. L’une des techniques de raisonnement de l’irrigation déficitaire qui commence à faire l’objet d’une certaine diffusion est celle de l’irrigation déficitaire régulée (Regulated deficit irrigation). Cette technique impose le contrôle de l’intensité et de la durée d’application du stress hydrique en dehors des phases critiques de la croissance des plantes sans ou avec une légère baisse du rendement selon les espèces. Pour les arbres fruitiers, ces périodes correspondent généralement aux phases de ralentissement de la croissance des fruits sur des arbres adultes et des pousses sur des jeunes arbres, pendant lesquelles ils sont relativement plus tolérants au déficit hydrique. Cette technique a été proposée la première fois en Australie en 1981 pour contrôler la croissance végétative du pêcher. Les résultats obtenus sur cette espèce ont montré qu’une application judicieuse de l’irrigation déficitaire régulée peut augmenter l’efficience d’utilisation de l’eau et améliorer la qualité des fruits sans réduire le niveau de rendement. Des résultats similaires ont été obtenus ensuite sur d’autres espèces dont le poirier, l’amandier, le pistachier, le pommier, l’abricotier, la vigne et l’olivier.
Compromis irrigation-production
Les études sur l’irrigation déficitaire régulée sont spécifiques à un écosystème particulier. De ce fait, les résultats obtenus dans certains pays producteurs ne peuvent être transférés qu’après la réalisation d’essais de vérification sous les conditions locales. Ces essais doivent tenir compte des niveaux de production et de leur stabilité, du comportement physiologique des cultures et de la qualité des fruits. Ils sont particulièrement impératifs pour les cultures les plus exigeantes en eau, notamment dans les régions où les épisodes de sécheresse sont fréquents. Dans ce contexte, l’INRA de Meknès s’est penché sur cette thématique depuis 2006 sur trois rosacées fruitières parmi les plus commercialisées au Maroc : l’amandier, le pêcher et le prunier. Le but de l’expérimentation était de tester une irrigation déficitaire à 50% et 75% de l’évapotranspiration de la culture (ETc) durant les périodes de ralentissement de la croissance du fruit et ce en comparaison avec une irrigation à la demande (100% de l’ETc). Les périodes de ralentissement de la croissance du fruit ont été déterminées au préalable par un suivi hebdomadaire du diamètre du fruit de la nouaison à la récolte. L’évaluation des effets des traitements hydriques appliqués était basée sur la mesure des paramètres de production, de qualité du fruit et de croissance végétative. Aussi, des paramètres du statut hydrique des arbres ont été également mesurés pendant et en dehors de l’application des restrictions hydriques afin d’expliquer les changements constatés en termes de production et de croissance végétative.
Résultats prometteurs
Les résultats obtenus à l’INRA de Meknès ont montré que l’effet des restrictions hydriques a varié en fonction de l’espèce. Le rendement a été réduit de manière significative uniquement chez le pêcher sous irrigation déficitaire à 50% de l’ETc par 21% en moyenne durant les trois années de l’expérimentation. La réduction du rendement chez cette espèce a été liée à la diminution du calibre des fruits puisque l’irrigation n’était variée qu’après la nouaison. L’effet des restrictions hydriques sur la qualité du fruit a varié également suivant l’espèce. La qualité des pêches a été améliorée dès la première année avec une augmentation de l’indice réfractométrique (taux de sucre) et une diminution de l’acidité. Ces paramètres ont évolué de la même manière pour les prunes, mais les différences observées n’ont été significatives qu’à partir de la deuxième année. Chez l’amandier, la qualité des amandons n’a pas été affectée par une irrigation déficitaire à 75% de l’ETc. Cependant, sous irrigation à 50% de l’ETc, la qualité physique des amandons a été légèrement affectée, marquée par une élévation significative du relief des rides épidermiques. Sur le plan végétatif, les restrictions appliquées n’ont pas affecté la surface foliaire, mais le nombre des feuilles a été réduit par limitation de la croissance des pousses. Cependant, les paramètres physiologiques relevées au niveau foliaire (potentiel hydrique, contenu relatif en eau, conductance stomatique, température foliaire, teneur en proline, concentration des pigments chlorophylliens) ont montré que l’état hydrique des trois espèces a été affecté lors de l’application des différents niveaux de l’irrigation déficitaire, mais les effets relevés étaient réversibles dès l’arrêt des restrictions hydriques.
En conclusion de cette expérimentation, il a été retenu que l’eau d’irrigation peut être économisée pendant les périodes de ralentissement de la croissance des fruits des trois rosacées sans effets négatifs majeurs sur la production et la croissance végétative des arbres, jusqu’à 75% de l’ETc pour le pêcher et jusqu’à 50% de l’ETc pour le prunier et l’amandier.
Mycorhization et efficience des apports d’eau
Pour appliquer une irrigation déficitaire régulée à des niveaux sévères, de 50% de l’ETc voire en dessous de ce seuil, il convient d’associer d’autres techniques qui améliorent l’efficience d’utilisation de l’eau en situation de stress hydrique, telles le paillage plastique du sol, l’irrigation souterraine et la mycorhization des plants. Cette technique a été testée en association à une irrigation déficitaire sévère de 50% de l’ETc, appliquée durant tout le cycle de croissance de jeunes plants de pêcher et prunier. L’essai a été mené en plein champ et en pots en utilisant des plants mycorhizés par deux champignons mycorhiziens arbusculaires, Rhizophagus intraradices et Funneliformis mosseae. L’expérimentation en pots a été menée essentiellement pour évaluer les effets sur la croissance du système racinaire. Les résultats obtenus ont montré que la mycorhization arbusculaire a permis de compenser considérablement les effets de l’irrigation déficitaire appliquée. Chez les plants mycorhizés, l’effet de l’irrigation déficitaire sur la croissance des pousses a été atténué de 57% pour le pêcher et de 22% pour le prunier. L’effet compensateur de la mycorhization a été lié à une augmentation du potentiel hydrique et de la conductance stomatique sans changer la teneur relative en eau des tissus foliaires. La mycorhization en conditions de stress a induit une augmentation significative de l’absorption du phosphore et d’autres éléments dont principalement l’azote. Cette augmentation est accompagnée par l’augmentation de la concentration des pigments chlorophylliens chez les plants mycorhizés. Pour la partie racinaire, le niveau appliqué de l’irrigation déficitaire a induit un changement significatif de l’architecture du système racinaire sans affecter notablement le poids et le volume racinaire totaux et ce via une diminution significative du pourcentage en chevelu racinaire d’une moyenne de 13%. Cette modification de l’architecture du système racinaire a été compensée par la mycorhization d’un taux de 87% en stimulant la ramification des racines.
En conclusion de cet essai, il a été démontré que la mycorhization arbusculaire à base d’un mélange de Rhizophagus intraradices et Funneliformis mosseae, améliore significativement l’efficience d’utilisation de l’eau et des nutriments des jeunes plants de pêcher et de prunier sous irrigation déficitaire de 50% de l’ETc. Les effets favorables de la symbiose mycorhizienne étaient particulièrement importants pour le pêcher du fait que sa croissance végétative était légèrement affectée en utilisant des plants mycorhizés. Ce résultat laisse présager la possibilité de recommander ce régime hydrique pour l’optimisation de l’irrigation déficitaire de cette espèce tout en associant la mycorhization arbusculaire. L’effet favorable de celle-ci a été lié à un maintien partiel du potentiel hydrique foliaire et à une activation du métabolisme des réserves en phase de croissance active des pousses, mais sans induire un forçage de l’absorption de l’eau et des éléments nutritif.
Conclusion
Actuellement au Maroc, comme pour la majorité des pays méditerranéens, l’irrigation déficitaire est devenue impérative avec la limitation des disponibilités hydriques associée à une grande croissance démographique. L’hypothèse d’une aggravation du déficit hydrique basée sur les prévisions météorologiques des 50 années à venir laisse présager la nécessité d’un recours systématique à l’irrigation déficitaire. Face à cette situation, le développement de techniques pour optimiser l’irrigation déficitaire sous le contexte Marocain est d’un intérêt capital, notamment pour les cultures exigeantes telles les rosacées fruitières. Les travaux entrepris à l’INRA de Meknès sur certaines rosacées fruitières ont fait ressortir qu’il est possible d’optimiser l’irrigation déficitaire de ces cultures via la réduction de la dose d’irrigation de 25% à 50%, suivant les espèces, pendant la période de ralentissement de la croissance des fruits tout en maintenant une irrigation complète durant les périodes de croissance rapide des fruits. Le recours à des réductions sévères de la dose d’irrigation impose l’association d’autres techniques dont l’utilisation de plants mycorhizés. Bien que cette technique améliore significativement l’efficience d’utilisation de l’eau sous régime hydrique sévère, son effet reste désormais partiel, rendant nécessaire l’association d’autres techniques, telles le paillage plastique du sol et l’irrigation souterraine.