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Irrigation : Goutte à goutte et économie d’eau

Mener le goutte à goutte à l’économie d’eau :

Ambition réaliste ou poursuite d’une chimère ?

Maya Benouniche1,2, Marcel Kuper1,2, Ali Hammani1

1 IAV Hassan II, Département Eau, Environnement, Infrastructures, Rabat. 2 Cirad, Umr G-Eau, Montpellier.

Au Maroc, l’économie d’eau est l’objectif affiché pour promouvoir l’irrigation localisée, en particulier le goutte à goutte. Le programme national d’économie d’eau en irrigation (PNEEI) prévoit une amélioration de l’efficience d’irrigation à la parcelle, de 50% en irrigation gravitaire vers 90% en irrigation localisée, pour économiser 826 millions de m3/an. Cependant, cet objectif prête à confusion, car il est souvent intégré dans un objectif d’amélioration de la production agricole.

 

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Des analyses ont été menées en 2011 sur les efficiences réelles d’irrigation à l’échelle de la parcelle dans quelques exploitations agricoles dans le Saiss, ayant mis en place le goutte à goutte, pour comprendre comment la notion d’économie d’eau se traduit sur le terrain. Les résultats indiquent des sur-irrigations pour la plupart des systèmes avec une efficience d’irrigation parfois inférieure à celles obtenues en irrigation gravitaire. Ces sur-irrigations sont liées aux objectifs d’augmentation de production agricole des agriculteurs. Ils montrent aussi qu’il y a une possibilité d’amélioration des efficiences d’irrigation sans nuire à la productivité agricole. Nous proposons d’opérationnaliser le concept d’économie d’eau, en considérant les agriculteurs comme des alliés qui disposent de solides connaissances dans l’utilisation du goutte à goutte en établissant un cahier des charges négocié et régionalisé entre l’ensemble des parties prenantes, permettant un suivi partagé des volumes réels consommés.

 

Réduire les pertes d’eau, ou augmenter la productivité agricole ?

Le concept d’économie d’eau a suscité de vives critiques dans la littérature pour son ambiguïté. Les pertes et efficiences à l’échelle locale influencent la disponibilité de l’eau à l’échelle d’un bassin versant. Quand un agriculteur améliore l’efficience d’irrigation à la parcelle, par exemple, et utilise cette eau pour adopter des cultures plus consommatrices en eau ou pour étendre sa superficie irriguée, il restitue moins d’eau aux dépens d’autres utilisateurs. En replaçant l’eau d’irrigation dans le cycle global de l’eau d’un bassin versant, l’économie d’eau observée à la parcelle ne représente souvent qu’un transfert de l’eau d’un utilisateur vers un autre, et non pas une économie d’eau à des échelles plus importantes.

La mise en place du PNEEI a donc pour objectif essentiel l’extension des superficies irriguées en goutte à goutte et à travers cela l’intensification agricole : « Aujourd’hui, on encourage l’adoption du goutte à goutte pour augmenter la productivité, l’économie d’eau viendra après » (responsable au Ministère de l’Agriculture et de la Pêche Maritime, 2014). Dans les services décentralisés, l’économie d’eau ne semble pas figurer non plus parmi les priorités de ceux qui sont en charge du suivi du PNEEI.

 

Sur-irrigation et manque d’efficience

Les mesures effectuées en conditions réelles révèlent des sur-irrigations durant la campagne agricole pour la plupart des systèmes de goutte à goutte. En effet, certains agriculteurs apportent 2 à 4 fois la dose nécessaire aux besoins des cultures. Paradoxalement, le suivi des pratiques des irrigations montre des périodes de sous-irrigation dans la conduite de la culture de l’oignon, alors que le volume d’irrigation total pour la campagne agricole présente souvent une sur-irrigation. Ces périodes de sous-irrigation, souvent en début de campagne, peuvent affecter négativement les rendements. Des améliorations dans la conduite de l’irrigation sont donc tout à fait possibles pour mieux ajuster l’irrigation aux besoins en eau des cultures. Par ailleurs, la disponibilité en eau peut constituer une contrainte qui influence la pratique d’irrigation : dans certaines exploitations, le débit de pompage ne suffit pas pour répondre aux besoins en eau d’irrigation de plus en plus élevés, surtout en période de pointe (généralement l’été).

 

Les raisons de la sur-irrigation

Pour certains systèmes, on a constaté une mauvaise distribution de l’eau à la parcelle, due à la conception du réseau et des problèmes d’entretien, que compensent les agriculteurs en apportant plus d’eau, pour d’autres, une ambition de l’agriculteur visant d’excellents rendements, et souhaitant qu’en aucun cas un stress hydrique puisse affecter négativement les rendements. Cependant, la qualité des installations n’explique qu’une partie de la sur-irrigation, les logiques des agriculteurs déterminent aussi l’efficience d’irrigation tout en constatant des différences entre les typologies des agriculteurs sur la base de ces logiques

 

Mettre l’économie d’eau à l’ordre du jour

Il en ressort que le concept de l’économie d’eau proposé dans le Programme National d’Economie d’Eau en Irrigation prête à confusion. Les services de l’Etat accordent un intérêt particulier à l’intensification agricole et aux superficies équipées en goutte à goutte et non pas aux volumes d’eau économisés. Ces services ne fixent pas d’objectifs précis quant aux volumes d’eau qui devraient être économisés, et il n’y a pas de méthode pour l’estimation de ces volumes. Sur le terrain, le goutte à goutte est adopté par les agriculteurs pour une pluralité de raisons. Le goutte à goutte renvoie à un statut social d’agriculteur moderne, à l’intensification agricole et à l’extension des superficies irriguées. La plupart d’entre eux sur-irriguent, en particulier ceux qui ont des installations subventionnées.

Nous pouvons conclure que l’économie d’eau n’est pas une priorité ni pour les agriculteurs, ni même pour les autres acteurs (ingénieurs DPA, Ministère en charge de l’Agriculture) pour le moment. L’absence de compteurs d’eau, le manque de suivi des agriculteurs ayant bénéficié des subventions dans l’utilisation de leurs équipements et l’absence de données concernant l’efficience d’irrigation réelle, témoignent du fait que l’efficience d’irrigation reste un concept théorique, peu mobilisé sur le terrain. L’économie d’eau n’est plus au centre des débats, le concept a cédé la place à la valorisation agricole.

Une clarification du concept d’économie d’eau avec l’ensemble des acteurs est importante, car les agriculteurs sont capables d’orienter leurs pratiques d’irrigation vers une pratique plus efficiente, quand la logique d’économie d’eau fera partie de leurs motivations. Les résultats montrent que les agriculteurs orientent leurs pratiques en fonction de ces motivations, qui déterminent ensuite l’efficience d’irrigation. Les agriculteurs considèrent leurs pratiques d’irrigation «bonnes » car elles permettent d’atteindre leurs objectifs. Il est important de considérer les agriculteurs comme des alliés dans la recherche d’économie d’eau disposant de solides connaissances dans l’utilisation du goutte à goutte, les agriculteurs référents en sont le bon exemple.

 

L’enjeu est donc d’engager un débat sur l’économie d’eau entre toutes les parties prenantes – l’Etat, la profession agricole, les entreprises d’irrigation –sur la base des usages réels de l’eau des systèmes de goutte à goutte. Ils pourront ainsi fixer des objectifs opérationnels d’économie d’eau, qui sont tout à fait possibles tout en améliorant les rendements. Un cahier des charges négocié, mis en place dans les différentes régions du Maroc, pourra concrétiser ces objectifs et permettra la mise en place d’un suivi des volumes réels utilisés dont les résultats seraient accessibles à tous les acteurs.

 

 

Source : www.alternatives-rurales.org-

 

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