Face à la pénurie d’eau,les eaux usées deviennent des ressources pour l’agriculture
Face à une demande alimentaire croissante et des pénuries d’eau de plus en plus fréquentes, les eaux usées ne doivent plus être considérées comme des déchets problématiques à traiter mais plutôt comme des ressources pour une agriculture de plus en plus gourmande en eau.
C’est le message de l’Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) qui pointe du doigt les pénuries croissantes en eau, conséquence d’une production alimentaire de plus en plus forte alors que le changement climatique tend à bouleverser la répartition de l’eau que nous connaissions et à accentuer les sécheresses.
Les eaux usées :
une ressource vitale comme alternative
L’eau est indispensable pour la production alimentaire et les pénuries croissantes de cette importante ressource naturelle conditionnent grandement le fait que l’humanité sera ou non encore capable de se nourrir par elle-même.
De manière générale, la croissance de la population et l’expansion économique font de plus en plus pression sur les ressources en eau douce. Résultat : le taux global de prélèvements d’eau souterraine augmente d’1 % par an depuis les années 1980 ! Premier responsable : l’agriculture qui pompe 70 % des réserves d’eau souterraine. Or, la demande alimentaire devrait augmenter d’au moins 50 % 2050, tout comme les besoins en eau des populations, des villes et des industries.
Dans le domaine industriel, de grandes quantités d’eau peuvent également être réutilisées, par exemple dans les processus de refroidissement ou de chauffage, au lieu d’être rejetées dans l’environnement. En 2020, on estime que le marché du traitement des eaux industrielles devrait augmenter de 50% (ONU).
La pression sur la ressource en eau est déjà telle qu’il n’est pas envisageable de puiser indéfiniment dans les réserves souterraines qui finiront par se tarir et/ou voir leur qualité se dégrader.
C’est pourquoi les Nations-Unies considèrent que les eaux usées sont une solution : «les eaux usées représentent une ressource précieuse dans un monde où l’eau douce disponible est limitée et la demande en hausse», a déclaré Guy Rider, Président de l’ONU-Eau et Directeur général de l’Organisation internationale du travail. «Chacun doit faire sa part pour atteindre l’Objectif de développement durable consistant à diviser par deux le niveau des eaux usées non traitées et promouvoir la réutilisation d’une eau sûre d’ici 2030. Il s’agit de gérer l’eau avec soin et de recycler celle qui est rejetée par les ménages, les usines, les fermes et les villes. Nous devons tous recycler davantage les eaux usées pour satisfaire les besoins d’une population en augmentation et préserver les écosystèmes».
S’ils sont traités correctement, «les effluents d’origine urbaine et les écoulements issus des fermes peuvent aider à atténuer le problème de concurrence d’accès aux ressources. En plus d’aider à remédier aux problèmes de pénuries d’eau, les eaux usées contiennent souvent une charge nutritive élevée, ce qui en fait un engrais efficace.» souligne la FAO.
Ainsi, les eaux usées peuvent être utilisées dans le cadre de la production agricole (irrigation directe ou indirecte en rechargeant des aquifères), si elles font l’objet d’une gestion responsable des risques de santé avec notamment un traitement adéquat et un usage approprié.
« Bien que l’on manque de données détaillées sur la pratique, nous pouvons dire que, de manière générale, seule une infime proportion des eaux usées traitées est utilisée à des fins agricoles, il s’agit pour la plupart des eaux usées municipales. Cependant, de plus en plus de pays faisant face à une hausse des pénuries d’eau – l’Egypte, la Jordanie, le Mexique, l’Espagne et les Etats-Unis par exemple – ont exploré plusieurs options », a déclaré M. Marlos de Souza, Fonctionnaire principal au sein de la Division des terres et des eaux de la FAO.
Dans certains pays, cette pratique est déjà utilisée depuis longtemps par les petits exploitants agricoles.
Gérer les risques liés à l’utilisation des eaux usées
«Aujourd’hui encore, une bonne part des eaux usées est rejetée dans la nature sans être ni collectée ni traitée. C’est particulièrement vrai dans les pays à faible revenu qui traitent en moyenne 8% des eaux usées, contre 70% dans les pays à haut revenu. De fait, dans de nombreuses régions, des eaux chargées de bactéries, de nitrates, de phosphore ou de solvants se déversent dans les cours d’eau, les lacs et pour finir, dans les océans, avec des conséquences graves pour l’environnement et la santé humaine», indique le Rapport mondial des Nations Unies sur la mise en valeur des ressources en eau : Les eaux usées, une ressource inexploitée, présenté le 22 mars 2017 à Durban (Afrique du Sud).
Les eaux usées non traitées contiennent souvent des microbes, des agents pathogènes, des particules issues de la pollution chimique, des résidus d’antibiotiques et d’autres polluants qui présentent un risque pour la santé des agriculteurs, des ouvriers de la chaîne alimentaire et des consommateurs et peuvent souiller les milieux.
Heureusement, de nombreuses technologies et approches existent à travers le monde pour traiter, gérer et utiliser les eaux usées dans l’agriculture, dont la plupart correspondent spécifiquement aux ressources naturelles locales, aux systèmes agricoles où elles sont utilisées et aux cultures qu’elles contribuent à produire.
Quelques exemples de réutilisation des eaux usées
Le recours à une eau traitée comme alternative à l’eau fraîche gagne du terrain. En Amérique latine, le traitement des eaux usées a pratiquement doublé depuis la fin des années 1990 et couvre désormais entre 20 et 30% des eaux usées collectées dans les réseaux urbains d’égout.
En Egypte, par exemple, où les ressources en eau sont limitées et les eaux usées ont tendance à être très contaminées, des zones humides artificielles se révèlent déjà comme une stratégie de traitement prometteuse et économiquement viable. En outre, en Egypte et en Tunisie, les eaux usées sont utilisées dans les projets agro-forestiers, contribuant à la fois à la production de bois et aux efforts visant à lutter contre la désertification.
Dans le centre du Mexique, les eaux usées municipales sont depuis longtemps utilisées pour irriguer les cultures. Par le passé, des processus écologiques contribuaient à réduire les risques pour la santé. Plus récemment, compte tenu des restrictions concernant les cultures – certaines cultures peuvent être cultivées sans risques en utilisant les eaux usées, tandis que d’autres ne peuvent pas – des installations de traitement d’eau ont été ajoutées au système.
En Jordanie, l’eau recyclée est utilisée depuis 1977 et représente actuellement 25 % de l’ensemble de l’eau utilisée dans le pays, à 90 % pour l’irrigation.
En Israël, près de la moitié des terres irriguées le sont avec une eau recyclée..
Aux Etats-Unis, le traitement et la gestion des recharges aquifères sont courants, surtout dans l’ouest du pays, notamment dans l’Etat de Californie qui connait des sécheresses catastrophiques.
En Namibie, pour faire face aux pénuries récurrentes, la capitale, Windhoek, a mis en place depuis 1969, des infrastructures qui traitent jusqu’à 35% des eaux usées qui viennent ensuite alimenter les réserves d’eau potable.
Les habitants de Singapour ou de la ville de San Diego (Etats-Unis) boivent également une eau recyclée.
Selon M. De Souza, en plus d’aider à lutter contre les problèmes de pénuries d’eau, réduire la contamination environnementale et contribuer à soutenir la production alimentaire, les infrastructures et les systèmes de gestion destinés à récupérer, traiter et réutiliser peuvent créer des emplois.